
Bakelinfo.com vous présente son âme féminine. Elle est à présenter parce qu'elle préfère l'ombre à la lumière. Discrète, avenante et très cultivée, Astou TIMERA est de ceux qui privilégient "l'idée" et mettent leur savoir-faire au service de la communauté. Militante associative très dévouée, elle répond toujours présente quand elle est sollicitée. Les associations DJIKE de Yaféra et l'association Soninkara.com peuvent en témoigner. C'est une battante de l'ombre, une force tranquille qui ne ménage aucun effort pour porter très haut les idées qu'elle partage. Administratrice de l'ombre sur ce site, elle a accepté de se prêter à nos questions pour lever un coin de voile sur sa personne. Elle nous parle de son parcours, de son " Yaféra", de sa vision de l'éducation, de la culture Soninké entre autres.
1- Bonjour Astou, Pouvez-vous vous présenter au public de Bakelinfo svp ?
Je m’appelle Astou TIMERA. Je suis née en France, de parents originaires du village de Yaféra dans le département de Bakel. Je fais partie de l’équipe d’administration de Bakelinfo.com.
2- Née en France, envoyée très jeune dans votre village d’origine Yaféra, quels souvenirs souvent gardez-vous de cette odyssée de vie ?
Une Odyssée est un bien grand mot mais il est vrai que j’ai vécu ce parcours comme une grande aventure. Les souvenirs sont nombreux. Mais parmi les inoubliables, il y a incontestablement les périodes de « Tangandé » (Surveillance des champs) ; on avait comme l’impression de vivre à ciel ouvert au quotidien. Je me rappelle aussi de ces parties de jeux sous les claires lunes avec les jeunes filles de mon âge. Ce sont des souvenirs qui restent gravés dans la mémoire.
Les choses ont beaucoup évolué depuis notamment avec la proximité des terres cultivables et l’arrivée de l’électricité.
3- Timéra rime très souvent avec Yaféra que savez-vous globalement de ce village ?
Yaféra est un village situé entre Golmy et Aroundou. Un village plein de vie et d’histoire. Une histoire rattachée aux noms de famille Timéra, Fofana entre autres. Il symbolise aussi le condensé de mes origines. C’est un petit village comparé à Bakel mais aujourd’hui, elle suit la tendance citadine et dispose de plusieurs commodités.
4- Concrètement, qu’avez-vous appris de votre long séjour que je dirais « initiatique » à Yaféra ?
Ce que ce séjour initiatique m’a appris c’est d’abord le sens de la famille africaine. La filiation maternelle et paternelle. Au début, on s’y perd mais avec le temps on s’y fait. Une chaleur humaine indescriptible qui marque à vie. Tout le village à ton chevet pour te donner une éducation exemplaire. La découverte d’une culture riche et des traditions pour ne pas dire us et coutumes séculaires. L’apprentissage de la langue maternelle, le respect des ainés, des parents, du voisinage… autant de valeurs qui aident à mieux vivre et à voir la vie sous un autre angle.
5- Et si c’était à refaire, quelles améliorations souhaiteriez-vous y apporter ? ou Simplement le referiez-vous ?
Je renouvellerais l’expérience car on a toujours quelque chose à apprendre ou à redécouvrir. C’est une manière de s’enrichir. Ce n’est pas le même confort que la France mais on s’adapte avec le temps, excepté pour la chaleur. Pour ce qui est de l’amélioration, j’invite les parents et les enfants à voir cette expédition comme un pèlerinage culturel et linguistique. Et aussi, les parents doivent bien s’enquérir de la situation de leurs enfants envoyés au village afin de mieux suivre leur développement social, surtout ne pas les sortir du cycle scolaire parce que cela risque d’être un handicap une fois le retour en France.
6- Et si on révisait votre parcours scolaire et professionnel, que pouvez-vous nous dire, vous qui avez fait Paris > Dakar > Yaféra > Bakel > Dakar > Paris ?
J’ai été à l’école primaire à Yaféra après une première inscription à Dakar en classe de Ce1. Il n’y avait que 3 niveaux de classe par an du fait d’un effectif d’élèves réduit.
J’ai du refaire ma Ce1 pour pas réitérer une année sabbatique. A l’époque, la scolarisation ne se faisait pas en masse. Aujourd’hui les parents sont plus enclins à scolariser leurs enfants. Ce n’était pas évident à l’époque.
Après la Cm2, il fallait quitter Yaféra pour le collège soit à Bakel ou à Dakar. Etant donné que les filles de mon âge ne quittaient jamais le village pour le collège, j’étais contrainte à arrêter l’école.
Il n’était pas envisageable d’envoyer une fille à la « la capitale ». Un principe pour les parents soninkés à l’époque.
Je dois à mon oncle aujourd’hui d’avoir été la première fille à quitter Tantes, Grand-mères et autres membres de la famille pour aller faire son entrée en sixième à Bakel qui se situe à une dizaine de km de Yaféra, le CEM Waoundé N'diaye.
Il y avait des élèves originaires de tous les villages avoisinants. J’y ai fait des rencontres très enrichissantes.
Ce qui paraissait une évidence pour mon oncle demeurait une chose difficile à faire comprendre pour le reste de la famille. Etant appelée à retourner en France, pour lui, il n’était pas raisonnable de suspendre ou tout simplement de mettre fin à mes études pour des principes qui restaient propres à leur tradition.
D’ailleurs je ne sais pas si je l’ai remercié comme il se doit pour cette prise de position courageuse. Je profite de cette tribune pour le remercier encore pour cette chance qu’il m’avait offerte. Je lui dois beaucoup aujourd’hui.
Mes tuteurs à Bakel étaient des gens formidables avec qui j’ai gardé de très bons rapports. Ensuite j’ai fait ma 5e à Dakar ou j’ai passé un an avant de retourner en France.
Le système scolaire est beaucoup plus rigoureux et assez soutenu par rapport en France. C’est toujours favorable pour les étudiants qui continuent leur cursus dans l’hexagone.
7- Vous êtes aujourd’hui diplômée en Finances, pourquoi cette vocation et comment se porte ce domaine ? Le conseillerez-vous à nos jeunes sœurs ?
Je me suis retrouvée dans cette branche un peu par défaut car j’étais dans la filière scientifique au lycée. Après le Bac, j’ai entrepris des études en gestion et finances d’entreprise. Je travaille aujourd’hui dans le secteur de l’audit et de la comptabilité que j’explore toujours avec beaucoup d’intérêts. C’est loin d’être une sinécure parce qu’il y a certaines contraintes.
C’est un secteur porteur. Alors pour les amoureux des chiffres qui ont l’esprit curieux et l’esprit d’analyse, n’hésitez pas !
8- Vous êtes militante associative, Trésorière d’une association de jeunes de votre village en France, pourquoi cet engagement au service de votre village ?
C’était une évidence pour moi. Non pas parce qu’il s’agit de mon village mais parce que cette association prône des valeurs que je partage. Entre autres le rassemblement de la communauté afin de renforcer les liens de famille, de fratrie ou d’amitié qui existe entre les membres. Les rencontres culturelles ou de débats autour de thèmes sont autant de bonnes choses pour s’orienter dans la même direction. De plus, nos adhérents et participants ne sont pas limités aux seuls jeunes issus de Yaféra. Il y a une très grande diversité qui est issue d’autres villages soninkés ou encore des «Toubabs» (Rires). C’est peut-être d’ailleurs ce qui a fait notre force.
9- Quand je vous dis association « DJIKE », que répondriez-vous ?
Volonté, Dévouement et Humeur bonne enfant ! C’est dans cet état d’esprit qu’on évolue. Nous avons jusque là réalisé pas mal de rencontres autour de journées culturelles, de piques niques, de conférences islamiques ou encore de débats sur des faits d’actualité.
A Yafera, nous avons contribué modestement à quelques projets comme la rénovation du dispensaire, à l’envoi de fournitures scolaires, et de dons divers.
Nous continuons par ces voies, tout en espérant contribuer positivement à tout ce qui pourrait faire avancer toute la communauté soninké.
10- Avez- vous rencontré des limites dans vos actions ou des difficultés depuis la création de votre association ?
Non pas en particulier. Notre problème majeur a été et demeure toujours le facteur temps. Nous manquons souvent de disponibilité pour mener à bien nos projets et dans les délais souhaités. Nous espérons à terme palier aux problèmes en faisant appel au volontariat des jeunes.
11- Et Yaféra, quelle lecture faites-vous de votre village aujourd’hui ?
Ce sera une lecture très limitée car je n’ai pas assez de recul. On s’y rend de façon épisodique. Yaféra bouge sur plusieurs plans mais encore il reste beaucoup de choses à faire. Je ne vois pas encore la main de l’état dans cette zone pour insuffler une bonne dynamique. Il n’y a que les émigrés qui apportent une richesse dans ce village. L’état est à l’abonné absent.
12- Quelle lecture faites-vous de l’éducation dans nos villages en tant que fille qui a fréquenté les écoles de ce terroir ?
Le milieu scolaire au village a bien évolué depuis mon passage. Je suis heureuse de constater l’importance accordée à l’éducation en général et la scolarisation des filles en particulier. Un gros travail reste encore à faire pour l’accompagnement dans les cycles supérieurs. Et aussi, il ne faut pas oublier que la scolarisation n’est pas « encore » rendue obligatoire et qu’elle incombe au seul choix des parents même si ces derniers ont des arguments concevables.
Il y aussi ce dilemme de certains parents qui hésitent à choisir entre les écoles arabes et les écoles françaises comme si elles ne pouvaient pas être complémentaires.
En bon musulman, il est essentiel de connaitre sa religion pour nourrir sa foi et soigner sa pratique mais savoir lire et écrire le français aide aussi à faciliter l’adaptation en milieu social et tirer son épingle du jeu dans le cadre administratif et professionnel.
13- Aujourd’hui, vous êtes membre de l’administration du site « Bakelinfo.com », la seule fille d’ailleurs, que pouvez-vous nous dire au sujet de cet engagement au service de votre département ?
Le concept est original. Réunir sur la même toile l’actualité de tout un département est une très intéressante idée. Une aubaine pour les ressortissants de ce département à l’étranger. La liberté d’expression est également mise en avant en permettant à tout un chacun de soumettre des articles portant sur des des thèmes divers liés ou non au sujet du moment.
Cela a bien sûr été un honneur pour moi de pouvoir participer à ce projet au coté de Samba Koita, Boubacar Gassama, Balla Sylla entre autres. D’ailleurs, je profite de l’occasion pour leur rendre hommage pour ce travail accompli. Ce n’était pas évident au début. Je sais d’où l’on est parti.
14- Depuis le temps que vous participez dans l’ombre au rayonnement de ce site, comment voyez-vous aujourd’hui Ce site ?
Le site a très bien progressé et a connu des innovations majeures. Les lecteurs sont de plus en plus nombreux. Plusieurs responsables locaux font confiance au site donc c’est dire que Bakelinfo.com n’est plus à présenter. Il a fait son petit bonhomme de chemin depuis 2009. C’est une fierté.
15- Glissons dans l’univers Soninké de France, quelle est la vision d’Astou sur la communauté Soninké de France ?
C’est une communauté qui a su conserver bon nombre de ses traditions et valeurs malgré le fossé apparent qui existe entre l’occident et nos pays d’origine. Elle est solidaire, travailleur et assume avec une grande bravoure la famille restée au pays. Ils sont méritants.
L’intégration dans la société française au fil des deux générations n’a pas été sans mal pour une large partie d’entre elles. Avant, il n’y avait pas trop d’efforts de compréhension du nouvel environnement social et économique dans lequel on évoluait. Ce qui n’a pas manqué d’avoir des impacts dans le travail, l’éducation des enfants, la revendication des droits, les rapports avec les concitoyens, etc.
Les consciences s’éveillent et des changements s’opèrent. Doucement, mais surement comme on dit. Les jeunes commencent à s’impliquer dans les projets des villages et des familles donc c’est de bonne guerre.
16- Les Jeunes nés en France sont souvent victimes de « quolibets », de « saillies » surtout au sujet de la langue et de la culture, pensez-vous légitimes ces critiques, vous qui ne souffrez d’aucun complexe de « Francikalémaxu » ?
Je ne pense pas que le fait d’être né en France soit un complexe en soit. Ce qui devient un complexe, c’est que cette différence soit exprimée comme une tare, un handicap qui entacherait son appartenance à part entière à une communauté.
On devrait cultiver cette différence et en faire un atout au bénéfice de la communauté. Avoir des enfants issus d’une double culture est un avantage si on sait l’exploiter. Aujourd’hui, ces enfants représentent le maillon entre ces deux cultures. Ils véhiculent leur appartenance à cette communauté qui pourtant les stigmatise tant, et œuvrent pour ces intérêts à chaque fois que le contexte s’y prête. Vous parliez d’association c’est un exemple, il y a aussi la musique, le sport, l’artisanat, sans compter les multiples compétences dans diverses professions qui profitent à nos compatriotes aussi bien en France qu’au pays.
17- On ne peut évoquer le sujet des Francikalémous sans parler du crucial sujet « le célibat grandissant des filles Soninkés de France », quelle lecture faites-vous de ce nouveau phénomène ?
C’est parce que je suis une « fille Francikalémé » que la question semble opportune ou juste un fait de société qui vous est sensible ? (rires)
Ce n’est pour ma part pas seulement un phénomène nouveau. C’est un fait commun à toutes les communautés qu’elles soient d’origine africaines ou occidentales. On a le même constat au Sénégal quelle que soit l’ethnie.
C’est difficile d’apporter une explication concrète sur le sujet car il y a tant de facteurs à prendre en compte.
On pourrait déjà concevoir que la société a beaucoup évolué ainsi que les modes de vie. Les jeunes filles en général aspirent à des études de plus en plus longues ou à consolider leur carrière professionnelle. Ce qui est souvent délicat à concilier avec le mariage à la « Soninké » je tiens à préciser. Rassurez-vous, toutes les filles Soninkés espèrent se marier un jour pour fonder une famille.
18- Il se dit que les « blédards » comme moi sont la cause principale de cette aversion des filles Soninké envers le mariage, quel commentaire apportez-vous à ce propos ?
Et bien si le « blédard » s’entête à ignorer qu’il a changé de continent à fortiori de culture, et que la « Francikalémé» ne fait pas pousser des arachides dans son balcon pour lui faire un bon « déré » le soir (Rires) : je veux bien croire qu’il soit la cause de cette aversion.
J’ironise un peu mais parfois on n’est pas loin du cliché. On en revient au problème d’intégration et de compréhension du fonctionnement du pays d’accueil. Il s’agit de faire des concessions et de se débarrasser de ces tas de préjugés qui pourrissent la vie. Il faut s’adapter dans son nouvel environnement. Si des hommes veulent encore perpétrer les mêmes règles qu’au village, cela aura comme incidence des conflits difficile à résoudre. Même dans nos villages aujourd’hui, les choses ont changé. Les normes de la vie de couple ont changé. Il faut s’en rendre compte et s'adapter.
19- En tant que militante associative, quelle lecture faites-vous des associations Soninkés de France surtout villageoises ?
Les associations que je connais, même que de nom ont des projets orientés soit sur la communauté locale ou sur l’Afrique. Ces engagements qu’elles prennent ont un impact très positif à moyen ou long terme. Je ne peux que saluer la démarche et multiplier mes encouragements.
20- Quel appel lancez-vous au peuple de Yaféra surtout à sa jeunesse ?
Je les appelle surtout à l’engagement pour prendre le relais. Nos parents, pour la plupart, sont à la retraite et songent à partir. C’est à eux de prendre le flambeau et de prendre part aux responsabilités sur tous les plans.
21- Le mot de la fin…
Merci pour cette interview. Je profite de cette nouvelle année pour souhaiter à tous les « Soninkos » où qu’ils soient mes meilleurs vœux et que le « Soninkaxu » se propage partout dans le monde. Merci et bon courage à tous ces gens qui œuvrent pour ce site départemental.
Interview réalisée par Samba Fodé KOITA dit EYO, www.bakelinfo.com