
La période du froid s’éloigne peu à peu faisant place à un temps plus lourd, sec, plus torride. Les hommes commencent à transpirer et à sentir cette odeur de bête qui caractérise les travailleurs sous le soleil. Ils s’approchent instinctivement des points d’eau pour se rafraîchir, s’abreuver, se reposer.

Mocirédin entre dans le grenier, prend sa canne à pêche, sa ligne, et même un épervier, ce filet de pêche qui imite impeccablement cet oiseau de chasse bien craint par les poules. Il referme la porte. Son épouse Diambéré Khoumba, la belle soninké à la démarche gracieuse, l’approche, lui tient le bras tendrement et lui murmure :
<<-Où va mon époux sous ce chaud soleil ?
-C’est parce qu’il est chaud notre soleil que je le fuis. Je vais à Goundeyni, non pas pour voir Penda Goundeyni le génie de l’eau, mais pour avoir un peu de fraîcheur et par la même occasion joindre l’utile à l’agréable en cherchant quelques poissons imprudents qui oseraient s’accrocher à l’hameçon de ma ligne ou à se faire prendre entre les serres de mon épervier !
-Tu as raison, mon mari. Nous ne mangeons plus de poissons d’eau douce. Au marché, il n’y a que des poissons marins. Bonne pêche !
-Compte sur ton époux, Khoumba. Je reviendrai INCHALLAH avec beaucoup de poissons !>>
Mocirédin est ragaillardi par les douces paroles de sa charmante épouse. C’est en puisant dans ses souvenirs de jeunesse qu’il se rappelle avec beaucoup de nostalgie ses camarades d’autrefois. Il se met alors à chanter << Mma kombé kiningha >> en s’éloignant de chez lui.
Une fois au bord du fleuve, Mocirédin s’étonne de voir que notre cours d’eau national n’ait presque plus d’eau ! Il prépare un tout petit morceau de viande. Il le met au bout de l’hameçon puis jette très loin la ligne après l’avoir fait tournoyer plusieurs fois au-dessus de sa tête. Il entend << ploc ! >>. C’est le bruit du plomb qui enfonce l’attirail de pêche dans l’eau.
A peine assis, il est rejoint par un ancien militaire appelé par tous les bakélois << Caporal Thiam >>. Abou aime bien la pêche, sans être pêcheur. Ancien chauffeur, il << tue >> le temps en allant le << perdre >> sur les rives du fleuve Sénégal. Caporal profite de l’imprudence ou de la naïveté de certains poissons pour les capturer.
<<- Aujourd’hui, le fleuve semble calme. Ses << habitants >> ont vite compris qu’il y a un intrus en haut, sur les berges. Ta présence a apeuré les poissons, c’est pourquoi …………..
Caporal ne finit pas sa phrase, arrêté net par Mocirédin . L’époux de Khoumba tremble car sa ligne remue terriblement.
-Que se passe-t-il Caporal ? Je ne comprends rien ! On dirait qu’il y a un poisson au bout !
-Effectivement. Mocirédin, un gros poisson a mordu ton appât. Ensemble, tirons-le. >>
Avec beaucoup de précautions, les deux hommes s’emploient à user de tous les stratagèmes pour faire monter l’animal qui se remue à droite, bondit à gauche, saute et fait apparaître tout son corps luisant aux écailles éclatantes. Il replonge profondément en tirant les deux hommes. Pendant plus de trente minutes, le poisson s’énerve. Les pêcheurs sont maintenant tout en sueur. Le poisson est à côté d’eux. Caporal prend un bâton et tape fortement l’animal sur la tête. Il ne bouge plus. Mocirédin profite de cet instant de passivité pour l’éjecter hors de l’eau aussitôt aidé par son ami.
<<-Belle prise ! dit Caporal.
-Je n’en reviens pas ! Comment est-ce possible ? N’est-ce pas la présence du caporal aujourd’hui qui nous a valu cette grosse et belle prise : un capitaine, un poisson actuellement rare dans nos cours d’eau ?
-Fort possible ! Il est venu pour m’élever au grade de capitaine comme lui. Il a compris que lors de ma durée légale sous les drapeaux (deux ans à l’époque) je méritais d’être au moins capitaine. >>
Thiam se met au << garde-à-vous >> puis tient le poisson par la queue et Mocirédin par les opercules. Totalement hors de l’eau, le capitaine, ce gros poisson, frétille et amuse les passants de l’exploit des pêcheurs.
Malgré la chaleur, bien que les rayons du soleil soient plus ardents, les deux amis transportent le poisson chez Mocirédin. Diambéré Khoumba se charge aussitôt d’envoyer chez Khambo appeler Fatou Diébakhaté. A trois, avec Khoudiédji Diarra qui vient de les rejoindre, les écailles sont enlevées, le poisson découpé et mis en tas pour permettre à plusieurs personnes du quartier de goûter à ce don de DIEU.
Caporal rejoint son domicile très heureux. Il se félicite de l’esprit de partage de son ami. Pas un seul instant, Mocirédin n’a pensé garder pour lui tout seul ce gros poisson. Il a associé à cette << chance >> que le TOUT PUISSANT vient de lui offrir une bonne partie des gens de son quartier. Il a compris que les bonnes comme les mauvaises aventures sont à partager avec sa famille, son entourage. Le bien peut se contenir ; le mal très difficilement. Il faut les vivre avec ses voisins. Le monde a deux faces. Méfions-nous de n’attendre que la compassion des autres. Compatissons aussi aux douleurs d’autrui. La boule tourne. Pas toujours du côté espéré. Les petits gestes ont leur importance. Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Les grandes rivières, à leur tour réjouissent les êtres, sans exception.
Idrissa Diarra, www.bakelinfo.com