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La Voix du département de Bakel

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Mocirédin ne pleure pas. Il ne fait que gémir. Mocirédin est un homme : il n’a pas le droit de pleurer. Durant toute la nuit, sur sa natte de prière, avec son chapelet qui l’aide à briser le silence par le bruit des graines qui s’entrechoquent, il est pensif.

Il ne parvient pas à résoudre l’équation combien importante du mouton de Tabaski.  Il lui en faut un ! Pour son honneur mais surtout pour le bonheur de sa famille !

Il fait claquer de plus en plus les graines de son chapelet. De temps en temps, il laisse échapper un long << ALLAHOU AKBAR  >> plein de sens.

La nuit s’étire. Elle devient interminable pour Mocirédin qui compte les minutes, pressé d’entendre les premiers chants des coqs. Son désir le plus ardent est de se rendre au point de vente le plus populaire de la ville, là-bas à côté du magasin de la DPV.

Mocirédin touche sa poche puis  sursaute. Le mouchoir  qui lui sert de porte-monnaie, celui qui  garde le prix de son mouton de Tabaski n’a pas voulu répondre à ses tâtonnements. Il se redresse aussitôt et se rappelle qu’il l’avait confié à son épouse Diambéré Khoumba !

Un autre << ALLAHOU AKBAR >>  plus long que la première fois déchire le silence de la nuit.

 

Enfin un coq chante ! Une grenouille coasse, peut-être gênée  par un chat qui cherche un peu de fraîcheur à côté  des canaris. Rien ! Le temps semble figé. Aucun autre chant n’a suivi  celui du coq. Les enfants ronflent sur leur lit en se grattant à cause des moustiques. Seul  Mocirédin veille. Il ne dort pas  car il n’a pas sommeil. Son esprit est entièrement  << happé >> par le problème du mouton. 

Un, deux, trois coqs, ensemble, lancent un cocorico si sonore que Mocirédin se précipite vers les bouilloires. Son geste malencontreux fait tomber un pot sur le chat qui s’enfuit, renversant à son tour  toutes les bouilloires .Ce tintamarre matinal imprévu réveille Diambéré Khoumba.

<<- Que fais-tu assis à cette heure de la nuit, mon mari ? Il ne fait pas encore jour ! L’heure de la prière de l’aube n’est pas proche, mon homme ! Viens te coucher.

-Je le sais. Mais je ne veux pas être surpris par les lumières du jour. Au point de ventes des moutons, aujourd’hui, je veux être le premier.

- Pourquoi le premier, questionne son épouse?

- On m’a dit que le premier client est toujours  satisfait, qu’importe ses moyens, car le vendeur ne veut pas que sa journée soit perdue après un premier marchandage.

- Il faut quand même que tu dormes. Il te reste au moins deux bonnes heures avant la prière de l’aube, ajoute Diambéré son épouse.

- C’est donc une fausse alerte ! Comment se fait-il que plusieurs coqs se trompent et chantent ensemble avant l’heure ? Seraient-ils, comme moi, si stressés, tellement traumatisés par un problème insurmontable ? De toutes les manières, je ne prends pas le risque de m’endormir maintenant ! >>

 

La voix dormante du muezzin secoue Mocirédin. Il s’empare d’une bouilloire, fait rapidement ses ablutions. Il réveille son épouse, récupère son  << mouchoir >> en lui précisant qu’après la prière il allait se rendre directement dans les points de ventes, chercher << son >> mouton de Tabaski.

Les ombres de la nuit ont maintenant disparu laissant jalousement la place à la lumière diurne. Petit à petit, le village se réveille : les salutations par-ci, les pleurs de bébés par-là, les << crass-crass >> des balais, les mouvements dérangeants des ménagères avec leurs ustensiles de cuisine, le braiment lointain d’un âne, tout cela montre l’animation naissante  de <<Guidinkhama >> le quartier de Mocirédin.

Derrière la Station SHELL, en face de l’école Bakel 3, le mari de Diambéré Khoumba est déjà là, son chapelet à la main.

Boy Poulo, le berger devenu vendeur spécialisé de bêtes, arrive avec six moutons. Il  s’installe sur     << ses >> terres et ignore les premiers clients qui attendent depuis longtemps. Pas même un petit regard ! Même pas un petit bonjour ! C’est un moment important : une bataille psychologique entre vendeur et  acheteur. Celui qui flanche, perd la partie. Chacun (vendeur comme acheteur) a sa stratégie. Il faut faire le désintéressé, feindre d’être là par hasard.

Personne ne veut  << attaquer >> le premier. L’ultime contact est révélateur : il met à nu l’état d’esprit de l’acheteur ou du vendeur. Il faut donc attendre. Résister. Temporiser plus que d’habitude.

Impatient, Mocirédin décide de déclencher les << hostilités >>, d’attaquer à outrance, frontalement, sans peur.

<<-Bonjour Boy Poulo ! Ce petit mouton est un cadeau que tu offres à ton premier client, n’est-ce pas ?

-C’est à ce dernier de m’ouvrir les vannes de la chance pour égayer le reste de la journée. Est-ce celui que tu veux ? Il ne coûte rien du tout : 55 000F seulement ! Et cela parce qu’il s’agit de toi, mon ami Mocirédin.

-Tu es fou Boy Poulo ? Mais c’est un agneau que tu veux me vendre à ce prix ? Il ne doit même pas, en temps normal, coûter 20 000F ! Est-ce que tu es musulman ? Je te propose quand même 30 000F en échange.

-Si tu le veux vraiment, débourse 50 00F et tu l’auras avec une belle corde autour de son cou, gratuitement.

-Je ne peux pas dépasser le montant que je t’ai avancé tout à l’heure. Aide-moi, Boy Poulo !

-Puisque c’est toi, prends-le à  45 000F Mocirédin.

-Pour ne pas allonger le marchandage, voici ce que j’ai (il dénoue le mouchoir qui se trouvait dans sa poche et lui présente 37 500F).

-(En riant) Comment en 2017, veux-tu trouver un mouton de Tabaski à ce prix Mocirédin ? Mais, ça va, il est à toi ! Bonne fête de Tabaski !

-Boy Poulo, donne-moi au moins 200F pour le transport de <<  ta  >> bête par mototaxi ?

-Tu oublies que tu es mon premier client, Mocirédin? J’accepte  ta demande et te remettrai les 200F lors de notre prochaine rencontre. >>

Mocrédin hèle un conducteur de mototaxi. Il  place le mouton entre le conducteur et lui. Il arrive tout souriant à  << Guidinkhama >>.

<<- Comment oses-tu, Mocirédin, traverser tout Bakel avec ce mouton  << Regarde-le et il meurt >> pour me le présenter ? Près de quinze ans de mariage, voici ma paye : un agneau qu’un affamé mangerait seul ! Tu as raison, Mocirédin, je ne suis pas une bonne épouse.

-Diambéré Khoumba, je ne t’ai jamais considérée comme ma moitié. Tu représentes les ¾ de mon être. Sans toi, je suis incomplet , je ne vis pas. Comprends que la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ! Moi, je ne peux, pour le moment t’offrir que ça. Mais Diambéré, DIEU est grand ! Demain est déjà un autre jour ! Tant que l’on vit, il faut garder espoir.

-Merci, mon mari. Tu as << transformé >> à mes yeux, cet agneau en un gros bélier blanc avec de grosses cornes, par tes paroles douces et rafraîchissantes. Je n’ai jamais regretté d’avoir été ton épouse car tu as toujours été franc, juste, loyal. Tu es ma fierté !  C’est pour titiller un peu ton orgueil que j’ai parlé ainsi. Tu connais ton épouse, ta Diambéré, la Khoumba de ton cœur ! >>

Très ému, Mocirédin baisse la tête, les larmes retenues avec  beaucoup  de difficulté. Il la relève  aussitôt, quand dans son déplacement dégingandé, son épouse Diambéré  fait danser et grincer les perles sataniques qui  ornent ses hanches. Il a tout de suite oublié sa misère et commence à sourire.

<< AL HAMDOULILAHI ! >> C’est son dernier mot.

Idrissa Diarra

 

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