
Dans le département de Bakel, il a plu, assez plu. La nature s’embellit. Elle se couvre d’une robe verte, argentée par endroits, ramenant le sourire sur les lèvres des paysans et des éleveurs.
La campagne agricole bat son plein avec la cueillette du riz de contre saison. A Faloboula, dans la cuvette du Collenghal, la moissonneuse-batteuse chante du matin au soir, ce bel air si gai que l’on communique difficilement. Seules les mimes permettent aux riziculteurs de se faire comprendre.
Mocirédin n’a pas cultivé dans la cuvette. Il y va cependant, avec la solidarité paysanne, donner un coup de main à ses voisins du quartier « Montagne Centrale ».

A <<Ségankané>> où se trouvent ses champs de mil et de mais, terres léguées par ses ancêtres, il n’y travaille que durant l’hivernage. Trois mois. Trois mois de travail, la plupart du temps sous la pluie, un trimestre dans la verdure, respirant l’air pur, rêvant d’une saison sèche, longue, il est vrai, mais où le cultivateur s’adonne à d’autres travaux moins rudes, plus acceptables que lors de la saison précédente. Pour les neuf mois de « sécheresse », Mocirédin peut faire du maraîchage le long du fleuve puis faire vendre par son épouse Diambéré Khoumba les produits de sa récolte en choux, salade, carottes, oignon….
Cet apport financier régule la situation de la famille dans cette longue période de soudure.
Ce matin, il a plu. Mocirédin ne se mettra pas sous la couverture pour dormir, bien que Diambéré Khoumba ait encore essayé son encens magique qui commence à parfumer la chambre. Il se lève, enfile sa tenue de travail, sans « imperméable » et marche au pas comme un soldat, vers <<Ségankané>> ses champs.
Les jours de pluie, bien qu’aussi importants que les autres, permettent aux paysans de faire le tour des champs, voir ce qu’il faut enlever ou replanter, s’assurer du travail déjà accompli en jaugeant, selon ses sensations propres, personnelles, à partir d’un seul regard, l’avenir de la saison.
Mocirédin ne déroge pas à « sa » règle : grand croyant, il remercie à tout moment le BON DIEU.
<<-ALHAMDOULILAH, ALHAMDOULILAH, ALHAMDOULILAH, répète-t-il plusieurs fois. >> Puis en Soninké, sa langue maternelle, il continue ses prières et ses remerciements.
A Faloboula, il se dirige vers la parcelle de son ami Samba Amina. Après les salutations, il retrousse ses manches et commence à ramasser les gerbes de riz pour les entasser dans un coin du champ. Quand la moissonneuse-batteuse est occupée sur une autre parcelle, les riziculteurs ne perdent pas de temps. Le travail se fait manuellement en attendant…
Un étudiant en vacances, à côté de Mocirédin, lui raconte que Camara Laye dans « l’enfant noir » avait parlé de la moisson du riz et de tout le cérémonial qui l’entoure.
<<-Ah ! Ces enfants. Sans avoir été en Guinée et sans avoir vécu l’époque de cet illustre africain, ce garçon me raconte, à moi, l’égal de son père, comment se déroulait la moisson du riz ! J’ai bien fait d’inscrire mes deux enfants à l’école.>>
Dans l’immense plaine, même si le bruit de la moissonneuse-batteuse domine, de temps en temps, la voix d’un nostalgique s’élève, imitant Demba Bilali Tandia, le rossignol de la culture Soninké. Parfois, comme un écho, une autre voix plus gaie et plus rigoureuse chante : « kha dinding tonghé fayi » .
N’est-ce pas des stratagèmes pour créer de l’entrain chez les travailleurs, une motivation supplémentaire, un encouragement à se surpasser afin de montrer aux autres ses capacités ?
Mocirédin a dépassé l’âge de se comparer aux autres. Il accompagne les travailleurs mais la plupart du temps, il va s’abriter à l’ombre d’une hutte branlante installée là depuis la période des semis. Il en profite pour siroter du thé remis par un garçonnet affecté à ce service.
Bientôt l’heure de la prière de 14 heures. Mocirédin dit au revoir à son ami et aux travailleurs. Tout doucement, il descend à Goundeyni, fait ses ablutions et
arrive à la mosquée de la « Montagne Centrale » au moment où, justement le muezzin Bassirou Mamadou Bougou appelle les fidèles pour la prière.
Fier de sa journée, Mocirédin loue DIEU, se déchausse à l’entrée de la mosquée, pénètre et prie deux <<rakas>> avant l’arrivée de Thierno Wane, le marabout toucouleur.
Idrissa Diarra