
Les chiens du quartier Montagne Centrale ont aboyé durant toute la nuit, perturbant le sommeil des hommes et même des animaux.
Les coqs n’ont pas pu se réveiller tôt pour rendre service aux fidèles musulmans en lançant leur doux « cocorico » matinal.
Mocirédin et sa famille, surpris par le silence des gallinacés se lèvent en baillant à cause du manque de sommeil.
Diambéré Khoumba se désole auprès de son époux mais surtout de ses enfants pour n’avoir pas pu préparer leur « sombi » avant le départ pour l’école.
<<-Mma, ne te presse pas. Nous n’irons pas à l’école, ce matin. Nous refusons de nous rendre dans nos établissements scolaires. Ne cherche pas loin, maman : puisque nos enseignants arrêtent les cours à partir de 10 heures pour un débrayage, nous avons décidé, nous, élèves, bien élevés par nos « maîtres » de ne pas les déranger. Désormais, dès que nous saurons le programme de leur mouvement de grève, nous prendrons les devants. Nous rangerons, depuis la veille nos « bagages » et nous préparerons à faire la grasse matinée comme des roitelets. Cela n’arrive pas tous les jours. Il faut donc saisir cette occasion inespérée d’appliquer le farniente et montrer à l’Etat, à nos Parents, à nos Enseignants, à l’Opinion Internationale (la nationale n’est plus crédible), que nous suivrons les pas de ces jeunes taxés d’écervelés sur les routes « maritimes » de BARSA et BARSAKH. Nous ne prendrons pas comme eux, les frêles embarcations de nos frères ! Par notre inactivité, nous allons montrer et même démontrer en remontrant à plusieurs reprises que les adultes ne sont pas les seuls à pouvoir << gâter>>. Autant, sinon mieux et même plus qu’eux, nous aussi, nous avons des capacités cachées.
-Mma Tokhora ! Mma Tokhora ! Mma Tokhora ! Combien de fois ai-je prononcé ton nom ?
-Pourquoi cette question, ma mère ? Tu m’as appelée trois fois !
- D’où puises-tu cette subite « maturité », ma fille ? Au lieu de vous « construire », de « bâtir » le Sénégalais nouveau dont notre pays a besoin, l’ECOLE est en train de DECONSTRUIRE ce que nous pauvres parents, brindille après brindille, avions tenté de vous inculquer pour le futur sénégalais de nos rêves !
-Mère, pourtant, nos enseignants se plaignent du fait que nous arrivons chez eux, sans aucune formation !
-Que veulent-ils ? Ils ont été formés pour s’occuper de votre formation, non ! Ils ne le font pas gratuitement : ils sont payés pour cela.
-Mma, c’est vrai ! Mais, nous les enfants, vos fils et filles, nous n’avons pas cherché à naître aussi. Ne nous placez pas dans vos querelles d’adultes. Battez-vous mais, s’il vous plaît, épargnez-nous, dispensez-nous des cailloux que vous vous lancez. Protégez-nous plutôt.
-Diambéré Khoumba, je vous écoute, Mma Tokhora et toi, depuis un moment, intervient à son tour Mocirédin. Pour moi, je vais d’abord écorcher, égratigner la Grande Association des Parents d’Elèves que j’ai suivie à la Télé. Elle a surtout « attaqué » les enseignants. Elle a, d’un côté raison, car ils ne doivent pas sacrifier l’avenir de nos enfants, en passant tout leur temps dans les rues. Mais d’un autre, elle a tort sur toute la ligne. L’Etat a une grosse part de responsabilité en signant des accords qu’il ne respecte pas, alors que les « GENS SAIGNANTS », chaque jour du bon DIEU, voient certaines pratiques qui écœurent et poussent à la révolte pour ne pas prononcer le mot <<REVOLUTION >>.
Cependant, pour l’impôt du contribuable, puisqu’il contribue (çà tombe bien) à payer les travailleurs, de grâce, donnez-le seulement à ceux qui ont mouillé leur chemise et à celles qui ont transpiré sous leur robe ou « marinière ». Les jours travaillés seulement doivent être payés ! Si l’Etat ne respecte pas ses accords ? Simple comme bonjour !
Je propose que le gouvernement en entier et les élus de tous bords ne soient pas payés pendant six petits mois seulement pour régler la CRISE SOCIALE qui n’est pas que SCOLAIRE ! Pendant que j’y pense, ajoutez aussi les salaires des autres grandes institutions budgétivores.
Si cela ne règle pas la situation, nous les CHOMEURS, TOUS LES CHOMEURS DU PAYS, sommes prêts à prendre la place des ministres, élus et autres grands cadres des institutions qui se « fâcheraient ». Nous CHOMEURS travaillerons dans le bénévolat durant ces six mois.
-Papa, comment vivrons-nous alors si tu es ministre ou député sans salaire, s’inquiète Mma Tokhora, la fille aînée de Mocirédin?
-Ma fille, tu as seize ans. Je n’ai jamais travaillé ailleurs que dans mon champ. Et pourtant, je parviens depuis ta naissance à te nourrir, à t’habiller, à m’occuper de ta scolarité ! En tant que ministre ou député, je ferai une semaine à Dakar, puis la semaine suivante, je prévoirai une visite chez moi. J’en profiterai pour m’occuper de mon champ. Tu sais, ma fille, j’aurai tellement de « domestiques » qui seront prêts à imaginer mes « rêves » pour les transformer en réalité qu’en l’espace d’une journée, le champ de ton << ancien pauvre père>> deviendra le plus beau, le plus productif de tous les autres champs de la région. Avant les six mois, ton père n’aura plus besoin de champ à cultiver. Il sera désormais bercé par les doux chants des « rameurs qui suivent le sens du courant » et tu seras choyée comme une princesse.
- Papa, en tant que fille de futur ministre, je n’ai plus besoin d’étudier. Je vais donc m’approcher des griots de mon quartier pour apprendre à chanter et à danser !
Idrissa Diarra, bakelinfo.com