
Quand la nuit tombe, il ne fait pas forcément noir car de temps en temps, la lune et les étoiles chassent les ombres et éclairent la terre.
Ce soir, il fait beau ! Le village s’est habillé de ses plus beaux vêtements. Il rutile sous l’éclat de la lumière des astres de la nuit.
Diambéré Khoumba va et vient dans la cour de la maison en chantonnant « INDI LELERIYO », gracieusement accompagné par sa démarche chaloupée qui laisse tinter les perles nonchalamment nouées autour de ses hanches.
Mocirédin est encore et toujours sur sa natte de prière après la mosquée. Avant de se coucher, il prie d’abord deux <<rakas>> puis égrène durant une bonne partie de la nuit son chapelet.
Mais ce soir, les va-et-vient de sa douce moitié l’exaspèrent ! Il ne parvient pas à se concentrer à sa dévotion. Son attention est perturbée par le cliquetis des perles, à chaque passage de Diambéré khoumba.
Bien que par ses <<HUM ! HUM !>> répétés, remuant lui aussi plus bruyamment son chapelet, l’épouse continue ses « va et longs revient », le déconcentrant, Mocirédin finit par ranger ses bagages et redemander à dîner.
<<-As-tu oublié que nous avions dîné assez tôt ce soir pour…commence à peine Diambéré, aussitôt freinée par son mari ?
-N’ai-je plus le droit de demander à manger chez moi quand j’ai faim ?
-Je n’ai jamais dit le contraire, répond Khoumba !
-Alors, qu’est-ce-que tu attends pour me servir « ma » dame?
-Tout de suite Mocirédin !>>
Diambéré Khoumba aggrave sa démarche et sert son époux.
Dans les rues du village, surtout dans les grands espaces comme la << Place Waoundé Ndiaye>> à Ndiayega, après le pont de Grimpallé, la <<place Hamady Rindiaw>> ou la <<Place Khambo >> sur la Montagne Centrale, l’animation bat son plein. Garçons et filles rivalisent dans des danses endiablées souvent au son de pots de tomate ou de calebasses renversées dans des bassines contenant de l’eau.
Tout cela rappelle des souvenirs à Mocirédin, son enfance, sa jeunesse, la période au cours de laquelle il a connu une frêle jeune fille, timide, cadette du Vieux Fily Sabou, toujours prête à « rougir » au moindre regard masculin !
<<-Ha le bon vieux temps ! pense Mocirédin.
-Le temps, c’est comme de l’eau versée ! Hier ? C’était le passé. Il ne faut pas l’oublier mais il ne reviendra plus, dit à haute voix Diambéré
-Que dis-tu encore, Khoumba ? De quoi parles-tu ?
-Mon « homme », je sais lire dans tes pensées, sans être une magicienne ! Je peux le jurer qu’en ce moment, ton esprit a rendu visite à tes amis d’enfance : Ndirissa Sidi, Papa Cissokho, Boulaye Touré, Boulaye Moumé, Moussa Dialimady, Aly Diaba, Ablaye Fassé, Bambo, Thiéblé, Dramane et Cheikh Tamboura, Sadio Woutorou….
-S’il te plaît Khoumba, ne me replonge pas dans ce passé si près, si loin, que les larmes me viennent déjà aux yeux ! Le passé ne s’enterre pas facilement ! Mais, bon…Passons et pensons à autre chose. >>
Mocirédin dîne une seconde fois. Et des <<ALHAMDOULILAH>> infinis fusent, prononcés avec beaucoup de fierté. Il se tâte le ventre puis tente de s’endormir sans y parvenir.
Pendant ce temps, Diambéré range ses ustensiles de cuisine et change de chanson. Maintenant, elle fredonne cette belle vieille chanson dédiée à Khambo Cissokho, ce grand griot à la virtuosité incomparable, par les jeunes filles d’autrefois << Dialy mana founou mbé dialy don dé ké>>. Traduit, le contenu de la parenthèse signifie : quand le grand, mon griot préféré se fâche, je chante ses louanges.
La nuit s’étire ; les bruits diminuent ; la lumière naturelle persiste. Le sommeil s’éloigne de chez Mocirédin ; les langues se délient.
<<- Tu as chassé toute envie de dormir de ma maison, dit Mocirédin.
-La théière est là ; il y a du thé, du sucre, du charbon, organisons donc une veillée, ajoute Diambéré !
-Pourquoi pas. Cela me permettra de reparler de la Fête du Sacrifice qu’est la Tabaski. Combien de moutons sont immolés à l’occasion de l’Aïd El-Kébir ? Des millions de béliers ont traversé nos frontières, venant du Mali et de la Mauritanie. Certains éleveurs du pays (professionnels) ont investi beaucoup d’argent. D’autres éleveurs « du dimanche », attirés par l’appât du gain ont aussi cassé leur tirelire pour se faire des bénéfices.
-Mocirédin, les populations ont commencé à comprendre : la pauvreté rend parfois malin. Elle donne des idées géniales ! L’élevage n’appartient pas (plus) aux Hal Poular seulement. Avec quinze petits mille francs, je peux trouver un petit mouton (agneau) tout juste après la Tabaski. Avant la prochaine fête, il deviendra un gros bélier ! Même s’il est vrai qu’à cause de cette même pauvreté un problème d’espace se pose, l’animal peut être toujours confié à un parent vivant au village.
-Diambéré, malgré l’exigüité de l’habitat dans les grandes villes, ce qui apeure les éleveurs, ce sont les voleurs ! Ces hommes et ces femmes (!!!) qui dorment le jour et travaillent la nuit.
-D’après certaines informations, des milliers de moutons n’ont pas pu trouver de clients, soit à cause du prix élevé de l’animal, soit parce que l’offre a dépassé de loin la demande ! Dans le second cas pour les « pauvres Gorgorlous », c’est une véritable aubaine.
-Pour que les populations sentent une participation de l’Etat, ce n’est pas en faisant le tour des pays frontaliers et en démarchant les vendeurs qu’on règle leur problème : il faut que les services départementaux de l’Elevage soient dotés de fonds spéciaux leur permettant d’acheter puis d’élever des agneaux afin de les placer sur le marché, les veilles de fêtes, avec des prix très compétitifs, pour ne pas dire « sociaux », à défaut de subventionner des Sociétés et exiger d’elles les mêmes avantages que l’Etat aurait dû offrir à ces citoyens sans moyens !
-Tu connais les Sénégalais ! Est-ce que ce système ne rendra pas paresseux certains et (ce dont j’ai surtout peur) ne permettra-t-elle pas aux nantis de tout acheter à des prix « normaux » pour s’enrichir sur le dos des pauvres « pauvres » ?
-Il va falloir quand même faire un choix ! Lequel ?>>
Idrissa Diarra, bakelinfo.com