
Quand Diambéré Khoumba voit son époux Mocirédin si triste et si renfrogné, du matin au soir, elle ne se sent plus en mesure de retenir ses larmes. Cet homme qui l’a connue si jeune et l’a choisie parmi toutes les filles du village a vraiment changé en l’espace de quelques jours. Il ne mange plus et ne boit plus. Sa mine d’ordinaire joviale attire n’importe quel passant car Mocirédin fait actuellement pitié à voir.
Toute cette tristesse a pour causes l’enclavement de son Département, la Grande Marche Citoyenne du 26 Août 2019 bien suivie par les populations mais décriée par une minorité de mécontents, les inondations des champs et des villages, la pauvreté du monde rural et même urbain, autant de thèmes qui rendent malheureux le cultivateur momentanément écarté de son seul lieu de travail, son champ, par les eaux de pluie.
A seulement quelques jours de la rentrée des classes, le Ministre de l’Education Nationale a annoncé à travers les ondes des radios et des télévisions que le slogan << UBBI TEYE JANG TEYE>> est toujours maintenu. Des Syndicats d’Enseignants refusent cependant la médiation de l’émissaire du Président de la République en la personne de monsieur Cheikh Kanté. Des écoles accueillent des sinistrés ou sont tout simplement plongées, elles-mêmes dans l’eau. L’Institution SAINTE JEANNE D’ARC ouvre ses portes en même temps que les écoles françaises et « crée » sans se voiler, un problème de voiles. Le manque criard de maîtres et de professeurs, les abris dits provisoires qui foisonnent encore dans notre département, la Santé plus malade que les malades, les innombrables accidents mortels sur nos routes, la suppression ou non du CFEE et de l’Entrée en 6e, n’est-ce pas d’autres raisons supplémentaires pour attrister le fils d’Aissé Moussa.
Essuyant ses larmes, Diambéré Khoumba s’approche de son époux pour lui murmurer à l’oreille son intention de partir au marché. Les enfants Mma Tokhora et Taata, eux, sont allés suivre au Collège de la commune, des cours de vacances organisés par les braves et consciencieux étudiants comme ils le font chaque année. La maison est calme à ce moment de la journée. Diambéré Khoumba est quand même sereine, elle sait qu’à cette période de l’année, les produits alimentaires manquent beaucoup dans la capitale du Gadiaga. Ainsi la clientèle déserte les différents étals du marché, les sachant déjà vides avant de se déplacer.
A pas de caméléon, Diambéré Khoumba sort de la maison comme si elle ne voulait pas s’en éloigner ! Elle revient aussitôt, le sourire aux lèvres, suivie de monsieur Momar Diagne ancien Principal du Collège de la commune de Bakel, actuellement en service au Collège Bocar Sow de Kidira.
Mocirédin se lève tout heureux d’accueillir celui qui fut le chef d’établissement de sa fille Mma Tokhora. Les bras ouverts, il dit à monsieur Diagne :
<<-Que me vaut l’honneur de la visite d’un grand monsieur comme toi ? Et tes vacances sont-elles déjà terminées ? Et à Sébikotane ?
-Trop de questions en même temps, Mocirédin ! Laisse-moi au moins m’asseoir. Tu me manques beaucoup, c’est pourquoi j’ai voulu te voir avant de continuer sur Kidira. Tu sais, avec les charges de la direction, je dois revenir avant les professeurs et les élèves pour préparer le terrain : désherber la cour, nettoyer les salles (classes, bureaux et toilettes), revoir les listes, inscrire surtout les nouveaux admis en 6e.
-Bismilah, Principal. Tu es chez toi. Diagne ! Préfères-tu te mettre sur un banc ou sur une natte ?
-Je n’ai pas de préférence, Mocirédin : banc, natte ou chaise, qu’importe !
-Mes soucis, tous mes problèmes vont disparaître aujourd’hui. Je suis sûr et certain que tu m’apporteras des solutions à toutes mes interrogations.
-Je ne suis pas un sorcier, mon ami. Mais autant que possible, nous verrons.
-Momar, comment vois-tu sincèrement cette rentrée scolaire 2019/2020 ? N’y aurait-il pas des perturbations ? Que faut-il faire pour les éviter, s’inquiète Mocirédin ?
-A mon humble avis, pour faire une rentrée « sans problèmes », au lieu de choisir un émissaire quelconque, il faut désigner le Ministre de l’Education Nationale, ses collègues des Finances, de la Fonction Publique, le Président National de l’Association des Parents d’Elèves et les représentants d’une dizaine de Syndicats d’Enseignants. (Que la cinquantaine de syndicats se retrouve pour avoir ses dix représentants.) En convoquant tous les syndicats, les pourparlers vont tirer en longueur ralentissant par la même occasion le déroulement normal attendu. Il faut que les Collectivités Locales déposent à temps les fournitures dans les écoles, que les parents d’élèves, à travers les ASC assainissent les établissements scolaires dès la dernière semaine de Septembre, que ces mêmes parents d’élèves laissent leurs enfants aller à l’école et que le Corps de Contrôle (les Inspecteurs de l’Education) avec l’appui des Sous-préfets, des Chefs de villages, des Maires rendent objectivement compte de la présence ou non du personnel enseignant.
-Tu as bien touché du doigt la plaie, mais monsieur Diagne, l’Etat est le premier à commettre (non pas une) mais des fautes. Elle met tardivement à la disposition des IEF les sortants des Ecoles de Formation, les rencontres qui préparent les rentrées des classes ne se tiennent que durant le mois de Septembre, à quelques jours de l’ouverture des classes. Puis les parents d’élèves, croulant sous le poids des problèmes (Tabaski, inondation, prix des fournitures, inscriptions, tenues des enfants, transport pour certains…). Enfin les enseignants : certains ont encore la tête dans les vacances et rejoignent difficilement leur poste.
-Mon cher Mocirédin, DIEU est grand. Prions tous ensemble pour que, par sa grâce, nous ayons une année scolaire apaisée, sanctionnée par de très bons résultats au CFEE, au BFEM, au BAC et au CAP des Centres de Formation Professionnelle.
-Amen, Diagne !>>
Diambéré Khoumba se presse maintenant pour aller au Marché Central, contrairement à la première fois, car elle a un étranger de valeur qu’il faut bien recevoir.
Idrissa Diarra, bakelinfo.com