
Diambéré Khoumba, l’épouse de Mocirédin, n’est pas contente du tout de son homme. Elle ne comprend pas pourquoi son mari a éloigné sa fille, son unique enfant, d’elle pour l’envoyer à Dakar. Dans la capitale sénégalaise, Mma Tokhora y séjournera pendant deux mois, le temps des vacances. Diambéré Khoumba se pose toujours des questions sur l’opportunité qu’il y avait de faire voyager leur fille au moment où elle a le plus besoin d’elle ! N’est-ce pas la fatiguer davantage dans les travaux domestiques en lui prenant son aide ?
<<-Diambéré, la Khoumba de mon cœur, que se passe-t-il encore ? Tous ces jours, je t’entends maugréer. Contre qui en as-tu ? Et pourtant, il pleut bien chez nous, à Bakel ! La nature est verdoyante, belle à regarder. Dans les champs, l’espoir renait chez les paysans. Les animaux ont maintenant les mares pour s’abreuver. Que te faut-il encore, ma chère épouse ?
-Il me faut ma fille, répond sèchement Diambéré.
-Après neuf mois d’études, je l’ai envoyée chez sa cousine Goundouma pour changer d’air !
-Mais, Mocirédin, n’est-ce pas le même air que nous respirons tous, qu’on soit à Dakar, à Paris, à Diawara chez ton ami Boubacar Sidi ou à Moribougou ? L’air des autres localités a-t-il…….
-Hé, Diambéré, par changer d’air, je veux dire que ma fille va quitter Bakel pour se rendre ailleurs et vivre autrement pendant un temps.
-Tu l’as laissée seule dans un bus de transports en commun jusqu’à Dakar et tu voudrais que je sois tranquille, Mocirédin ?
-Eh oui, tu peux dormir sur tes deux oreilles ! J’ai confié Mma Tokhora, notre fille, à Samba Dembélé, un homme que je connais bien car neveu d’un ami de longue date, Kader Tandia.
-A leur arrivée à Dakar, Samba m’a appelé pour me narrer les péripéties de leur voyage tumultueux. J’ai tellement eu pitié d’eux que je n’ose pas te raconter le calvaire…
-Dis-moi vite ce qui leur est arrivé. Y a-t-il eu un accident en cours de route, Mocirédin ?
-Sois calme Diambéré Khoumba. Ils vont bien. Mais…..
-Mais quoi, Mocirédin ?
-Tiens-toi bien, Diambéré pour ne pas tomber ! Les 250 kilomètres qui séparent Bakel de Tambacounda ont été parcourus en 10 heures 40 minutes. Presque 11 heures d e route ! Samba Dembélé m’explique qu’il peut faire un aller-retour Dakar-Paris-Dakar, régler un problème dans la capitale française sans qu’un voyageur ayant quitté Bakel pour Tambacounda n’atteigne sa destination. L’état des routes dans cette partie de notre pays inquiète ! A plus d’un titre ! Nos hôpitaux manquent de spécialistes. Pour un rien, il faut évacuer à Tambacounda ou à Ourossogui ! Imaginez un peu une femme arrivée par charrette de son village pour accoucher. Par manque de Sage femme ou de chirurgien en cas d’opération, il faut évacuer la parturiente sur des routes inimaginables pour un être humain ! C’est se débarrasser d’elle, la laisser aller mourir ailleurs, car même si elle parvient (les miracles existent) à arriver à destination (Tambacounda ou Ourossogui), elle survit rarement, amenant avec elle, dans l’autre monde son enfant mort avant de voir la lumière !
Diambéré, Samba et ma fille sont en fin de compte, arrivés à Dakar à 15 heures. Presque 24 heures de voyage pour parcourir 660 Km !
Mma Tokhora regrette beaucoup de m’avoir proposé ces vacances à Dakar. C’est sûr qu’elle gardera un mauvais souvenir de son premier long déplacement.
-Je comprends donc pourquoi, tous ses jours-ci, une bonne frange de la population des départements de Bakel, Goudiry et même Tambacounda est en train de s’organiser pour UNE GRANDE MARCHE PACIFIQUE, le 27 Août à Bakel. Ce jour-là, mon mari, il n’ y aura pas de marché, nous allons tous jeûner pour montrer au monde entier les difficultés dans lesquelles nous vivons….
-Depuis quand es-tu devenue si engagée, ma chère épouse ?
-Lorsque j’ai compris que ma fille pouvait mourir sur ces routes cahoteuses alors je paye des impôts. Je sortirai la première et me mettrai devant afin d’encourager les poltrons (les Traoré et les Sissibé) qui trembleront à pareille occasion.
-Bien dit Diambéré Khoumba ! Non seulement je t’autorise à participer à LA GRANDE MARCHE PACIFIQUE DU 27 AOUT, mais en plus, tu es libérée des travaux domestiques durant toute cette journée !
-Comment allons-nous manger alors, Mocirédin ?
-Je te remplace à la cuisine. Je m’occuperai aussi des travaux domestiques.
-Mon mari a-t-il peur de participer ? Alors, prends ton courage à deux mains et viens au moins « assister », sinon j’aurai honte d’être indexée partout comme ta femme, l’épouse d’un froussard, la femme de Mocirédin !
-As-tu oublié ma femme que le lion symbolise la force et le courage ? Je descends du lion. N’aie aucune crainte. Ce 27 Août, je serai devant les « Marcheurs » en train de les haranguer, surtout mes cousins à plaisanterie.
-Espérons que les choses aillent vite, très vite pour permettre aux Orientaux, ces hommes et ces femmes qui voient le soleil avant tous les Sénégalais, de se sentir du même pays que les Thiessois, les Kaolackois, les Saint-Louisiens, les …>>
Idrissa Diarra, bakelinfo.com