
Malgré toute la sérénité qu'elle affiche, Mmatokhora, la fille de Diambéré Khoumba et de Mocirédin est un peu << secouée >> au fond d'elle-même: six années durant, elle n'a connu qu'une seule école, IMDB. Dans quelques jours, elle fera quelques mètres de plus pour se retrouver au Collège de Grimpallé, en 6e. Ce sera un autre univers avec ses réalités différentes de celles de l'école élémentaire.
Furtivement, Mocirédin, en véritable courant d'air, pénètre dans sa maison. Il trouve beaucoup de garçons autour de son homonyme de père, son fils aîné, s'affairant sur des pots de tomate et des peaux de chèvre pour se faire des tams-tams. Ce soir,ils se déguiseront, les filles en garçon et les garçons en fille. Ils animeront la ville par des chants , des danses au son des calebasses, des castagnettes et d'autres instruments de leur invention.
Mocirédin regarde avec beaucoup de nostalgie les enfants. Il se rappelle! Il se rappelle son enfance dans ce même quartier, Montagne Centrale. Avec ses amis,les Bambo, Ablaye Fassé, Aly Diaba, Papa Malaw, Ndirissa Sidy, Boulaye Moumé, Mamadou Bakary, Moussa Dialy Madi,Ablaye Touré, ils n'avaient pas de tams-tams. Au crépuscule, dès que le muezzin annonçait la prière,dans toutes les maisons, les couvercles des canaris résonnaient dans un bruit infernal. De toutes les maisons partait le même son: << Gouloubougouloubou >>.
ACHOURA, la fête de la Tamkharite, porte ce nom chez nous grâce à l'onomatopée << GOULOUBOUGOULOUBOU >>. Autrefois, après la musique singulière des couvercles de canaris, les enfants sortaient en groupes et chantaient: << ORI REGALLADA, ALLAH SIRENDA...>> De maison en maison ils chantaient la même chanson. Ils recevaient du mil, du riz, du couscous...Ils se retrouvaient ensuite pour manger, bien manger,chacun avec sa famille car selon ce qu'on racontait, une pesée allait s'effectuer durant la nuit. Celui qui n'avait pas un bon poids faisait partie des sacrifiés de la nouvelle année. Il faut donc bien manger, augmenter son poids pour rester en vie!
Ce soir-là, certains enfants se remplissaient tellement le ventre qu'ils avaient des problèmes pour se déplacer. Les grandes personnes leur recommandaient, en les félicitant d'avoir bien mangé, de frotter le ventre plein contre le mur du grenier pendant un bon moment .
<<-Quels souvenirs! Le monde change tellement vite que....(très ému, Mocirédin ne parvient pas à terminer sa pensée)
-Qu'arrive-t-il à mon mari? Est-ce la présence de ces enfants qui te perturbe?
-Tu as vu juste! J'étais intérieurement en train de comparer, à la vue de ces garçons, des choses différentes: hier et aujourd'hui!Le passé ne revient qu'en souvenirs.Bien qu'il représente un socle pour le présent, il ne doit pas empêcher aux vivants ,à ceux d'aujourd'hui de l'avoir au rétroviseur tout en jetant un coup d'oeil vers l'avenir! Diambéré, la religion est bien arrivée. Et elle a changé en bien nos mauvaises habitudes!
-Mon mari, nos enfants doivent vivre leur vie, c'est vrai, mais il faut qu'on leur apprenne ce qu'était hier! C'est ce qui renforce leur éducation et leur permet de comparer, de discerner le bien du mal, de se poser des questions susceptibles d'éclairer leur lanterne en les orientant correctement dans le nouveau monde!
-Ne suis-je pas en train de jouer sur ce terrain-là? Je suis << hier >> et je partage le présent avec eux! Je m'obstine à créer autour d'eux, autour de nous, une ambiance << passé-présent >>, véritable sauce comestible pour toutes les générations. Dans les maisons , il y a de moins en moins de canaris. Comment obtenir ces <<GOULOUBOUGOULOUBOU >>, bruits assourdissants de couvercles sur ces jarres? Les médias ont transformé, à une vitesse vertigineuse, dans le bon et en même temps dans le mauvais sens (est-ce possible?), la vision du monde. Il faut faire avec , modeler et même modérer notre comportement.
-Aux enfants, moi je leur dis qu'ils seront les grandes personnes de demain. Que ces enfants n'oublient pas qu'ils ont eu ,eux aussi,un passé et qu'ils vont partager le présent, leur << aujourd'hui >> avec leurs enfants. C'est une chaîne! Les maillons doivent résister au temps. Chaque être doit jouer sa partition pour que la musique soit harmonieuse.
-Diambéré Khoumba, ne sommes-nous pas les seuls dans le quartier à garder des canaris?
-Nous sommes donc les détenteurs de la tradition!
-Quelle tradition, Mocirédin? Regardons derrière nous, mais hâtons d'enjamber le vide de l'ignorance, du <<sur-place >>! Pour aujourd'hui, disons aux enfants , sans être griots, de battre leurs tams-tams! S'ils ont des koras, qu'ils les pincent aussi! >>
Idrissa Diarra, bakelinfo.com