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La Voix du département de Bakel

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  photo migrant
L’hivernage commence à s’installer peu à peu dans le département. Il  nettoie petit à petit les traces de la longue période de sécheresse. Un beau tapis herbacé couvre dans plusieurs endroits le sol. La nature présente un visage plus rayonnant. Les arbres, longtemps restés nus, sans feuilles, sourient maintenant aux passagers qui ne craignent plus la poussière rouge de nos routes cahoteuses.

Ce dont ils ont peur en ce moment, les voyageurs,  ce sont les nids de poules pleins d’eau que les pneus usés des vieilles voitures projettent sur eux.
Les voyages ? Rien qu’à y penser, Mocirédin s’endort ; il ferme les yeux exprès et veut se sentir hors de son village, de son Gadiaga natal, de sa région orientale, de son pays. Il veut se retrouver très loin de ses terres, de la terre de ses ancêtres. Il rêve de voir ailleurs ; un autre monde, peut-être plus magique que ce lieu, ce seul endroit, cet unique espace qu’il piétine depuis son enfance.
Mocirédin lève la tête. Il scrute le ciel. Il veut voir à travers les gros nuages porteurs d’eau ce que lui réserveront les heures à venir. Lui, fils de cultivateur, n’a pas peur des intempéries. De sa tendre enfance à nos jours, il a traversé toutes sortes de temps : les beaux comme les mauvais jours ! Une forte pluie ou une sécheresse prolongée, le tonnerre, la foudre, les éclairs, plus rien ne le surprend. Après tout, n’est-il pas croyant ?
Le mari de Diambéré Khoumba n’entend pas rester sur place durant toute sa vie alors que quelques-uns de ses amis sont en Europe ou aux Etats Unis d’Amérique, ses neveux et ses cousins, des connaissances qui reviennent, transformés, roulant les « R », s’habillant comme les « toubabs », imitant même leur démarche et leurs tics.
Depuis toujours, il a gardé au fond de lui-même le secret, l’intime vœu  de s’évader, de quitter ce seul pays qu’il connait de sa naissance à nos jours. L’envie, le désir soudain de sortir, d’aller très loin de chez lui, de son village, sa région, son pays, son continent le hante nuit et jour. Qu’il dorme ou qu’il ait les yeux bien  ouverts, cela devient son ombre. Elle le suit partout.
Alors, Mocirédin a décidé de se confier à son ami Kader, un ancien Professeur d’Histoire dans les Ecoles Normales d’Instituteurs (Germaine Le Goff à Thiès et puis à Bambey).
<<-Yigo, je ne parviens pas à dormir. Le jour comme la nuit, c’est la même idée qui me tourmente. Je n’ai plus qu’un seul rêve : quitter  Bakel Saré Demba pour aller en Europe, en France plus précisément.
C’est bien Mocirédin, lui dit son ami Kader, les voyages forment l’homme. Mais dis-moi seulement ce que tu vas y faire ?
Y travailler comme les autres et revenir plein d’argent, épouser une deuxième femme, reconstruire ma maison, m’acheter une belle voiture, exploiter le terrain sur lequel, matin et soir, saison des pluies  et saison sèche, j’usais toutes mes forces sans obtenir le quart de mes efforts. Je vais surtout pouvoir aider les « pauvres ».
Je te redis : c’est bien, Mocirédin ! A ton âge, avec tes cheveux grisonnants, sans aucune qualification, illettré par-dessus le marché, sans argent, comment vas-tu faire pour y aller d’abord, ensuite y travailler ?
Mes égaux y sont, répond tout de suite Mocirédin.
Oui, mais à quel âge ils sont arrivés en France ? Combien de temps ont-ils passé là-bas avant de trouver du travail ? Et quel travail ? Sais-tu que pour y entrer maintenant, il te faut plusieurs millions ? Cet argent ne peut-il pas te permettre de réaliser un projet sur place au lieu d’émigrer ?
Vous êtes tous les mêmes. Tu es comme les « autres ». Vous faîtes tout pour décourager les gens et pourtant vous y allez à chaque fois, vous-mêmes.
Oui, Mocirédin, j’y vais souvent pour un séjour ne dépassant pas un mois, sur invitation de nos partenaires. Je rentre toujours au pays, à Bakel Saré Demba ! Tu n’as peut-être pas tout ce dont tu as besoin ici, c’est vrai, mais à côté de Diambéré Khoumba, ton épouse,  de Mma Tokhora et de Taata, tes enfants que tu vois tous les jours du BON DIEU, estime-toi heureux. La vie n’est certes pas belle, cependant je suis sûr que tu te plains moins que les émigrés. Tu ne peux imaginer les dures conditions dans lesquelles ils vivent !
Aussi dure que soit la vie en France, je veux, à mon tour la vivre. Qu’on ne me la raconte pas. Comme les autres, je veux subir les affres du froid, la rigueur du climat, mais la joie de me sentir parmi les nantis en train de regarder les immenses maisons à étages, les gratte-ciel, les rues magnifiques, les « toubabs », encore les « toubabs » et  toujours les « toubabs » ! N’est-ce pas atteindre un peu le paradis ?
-Tu me surprends, Mocirédin ! Tu ne m’as toujours pas dit par quel moyen tu allais te rendre en France ? Est-ce par avion ou… ?
Tu sais bien Kader que je ne peux pas y entrer légalement. Je vais tenter par la voie maritime de le faire. Je traverserai le désert puis par les « bateaux » de fortune (qui peuvent me permettre d’avoir de la fortune), Lampedusa m’ouvrira ses portes. Les jeunes,  ne disent-ils pas : « Barça ou Barsakh » ? Ensuite par la magie des relations, ma bonne nièce Fanta et sa cousine Goundouma  me viendront en aide et la France m’accueillera, m’ouvrira ses bras.
Comme c’est simple, Mocirédin ! Tu crois que les choses vont se passer ainsi comme par enchantement, s’étonne son ami Kader en le dévisageant ? Reste auprès des tiens. Tous ne peuvent pas émigrer, même si tous ne peuvent et ne doivent pas rester au pays. Dieu a tracé pour chaque être un destin. Ce que tu dois avoir, tu l’auras. Je ne te pousse pas à la paresse ! Loin de moi cette idée. Ce que je veux, c’est que tu prennes tes responsabilités…..
N’est-ce pas ce que je suis en train de  faire Kader, en abandonnant « mes » terres, celles de mes ancêtres, pour émigrer vers d’autres lieux, sous d’autres cieux plus cléments  à la recherche d’un mieux-être ? N’est-ce pas être responsable que de vouloir changer de situation ?
Mocirédin, ne t’agite pas. Le monde a changé. L’émigration ne se fait plus aussi facilement qu’autrefois. Les travaux que les  émigrés faisaient en Europe  n’existent plus ou sont « arrachés » par les Français, les Européens  eux-mêmes. Avec le progrès dans tous les domaines, la main-d’œuvre que nous cherchions a disparu. Prenons notre courage à deux mains et osons croire en nous-mêmes, en nos potentialités, à notre savoir-faire, à notre savoir tout court.
Kader, ce n’est pas parce que tu m’as convaincu que je reste, mais par manque de moyens. Je vais compter les poteaux (surtout ceux qui sont par terre après la tempête de l’autre jour) puis je me rendrai dans mon champ. Y a-t-il autre chose à faire ici ?
A ton âge, Mocirédin, tu fais partie des sages du village. Ta présence parmi les jeunes est une source de motivation, de réconfort. Rien qu’en te voyant, tu les encourages à rester, à se mobiliser pour leur terroir, à croire en eux-mêmes, à se sentir responsables. Même si tu es un « illettré », comme tu te surnommes, tu es un modèle pour beaucoup d’entre eux. Reste et DIEU t’aidera.
Kader, encore une fois, ce ne sont pas tes arguments qui me retiennent, ici, à Saré Demba, cette ville que j’aime tant. Mais contre mauvaise fortune, il faut faire bon cœur ! >> 
             Idrissa   Diarra, bakelinfo.com

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