
La nuit a fini sa course dès que les premières lueurs du jour ont commencé à apparaître. Les coqs ont chanté. Mocirédin revient lentement de la mosquée de la Montagne Centrale, égrenant son chapelet, tout en évitant de tomber dans les flaques d’eau de pluie.
Les moutons, les chèvres, les ânes, les chevaux produisent un bruissement confus pour montrer leur présence en ce matin de bonne heure. Les grenouilles, elles aussi, grandes chanteuses nocturnes, coassent pour donner au revoir aux ombres de la nuit.
Ces bêlements, ces braiments, ces hennissements et ces coassements n’empêchent pourtant pas Mocirédin, le mari de Diambéré Khoumba de se précipiter sur son lit, une fois à la maison, pour dormir profondément avant que sa chère épouse ne lui présente une calebasse de bouillie de mais.
Malgré les annonces de la Météo sur la quantité de pluie prévue cette année, Mocirédin rêve de voir son grenier plein de mil et de mais, les cultures qu’il exploite depuis le temps de son pére.
Il ne craint personne : DIEU est grand et l’a toujours été. Il vivra selon sa volonté !
Diambéré Khoumba, l’épouse, Mma Tokhora, la fille aînée et Taata, l’homonyme du grand-frère de Mocirédin savourent la bouillie arrosée de lait de vaches présentée par la reine des lieux. Les cuillères vont et viennent de la calebasse aux bouches gourmandes des mangeurs. Il ne reste plus rien dans l’ustensile, preuve que le repas a été délicieux, savoureux.
Taata, le garçon, se lève et va remercier son père tandis que sa sœur aide sa maman à laver la calebasse et les cuillères.
Thiébilé, Amdi, Sadio Woutorou et Dramane sont déjà dans les champs. En cette période de cueillette du riz, il faut être plus matinal que les oiseaux granivores et travailler avant que le soleil ne darde ses rayons.
La moissonneuse-batteuse oblige les producteurs à s’égosiller pour se faire entendre ou à s’exprimer par des mimes. Le bruit du moteur résonne assez fort. Il est éloigné de la cuvette du « Collenghal » par un vent perturbateur qui pousse les paysans à avoir des turbans pour se protéger à la manière des sahéliens contre la poussière et les résidus de riz.
ALHAMDOULILAH, l’espoir est permis, pensent les paysans. Une joie masquée anime les producteurs : après une saison de labeur et de sacrifice, les bons non encore remboursés à la Banque, les dettes chez le boutiquier du coin, la Tabaski qui est à moins d’un mois avec ses frais colossaux (moutons, tenues de fêtes pour les enfants et si possible pour Diambéré), sans compter….
Mocirédin interrompt son « rêve les yeux ouverts » , prend sa houe et son coupe-coupe puis se dirige vers son champ de mil à <<Ségankané>>. Aujourd’hui, il dispense Taata de cette corvée. Il ira seul voir la situation et décidera de ce qu’il faudra faire après : cultiver une deuxième fois ou attendre que l’herbe pousse encore plus !
Sur la route des champs, il faut de la vigilance, savoir où poser les pieds pour éviter de glisser et se retrouver les jambes en l’air, la tête dans l’eau!
La verdure, tout au long du chemin qui le mène à <<Ségankané>>, est trempée de rosée. Cette humidité, loin de déplaire à Mocirédin, le stimule.
La chanson que Thione Ballago Seck a dédiée aux cultivateurs lui redonne courage et augmente son envie de faire une bonne moisson !
<< -Qui est plus croyant que le cultivateur ? Lui qui, au lieu de manger ses graines, les confie à la terre, c’est-à-dire à DIEU !>>
Lui, Mocirédin croit en DIEU ; il ne croit qu’en LUI, le PUISSANT, le CREATEUR des cieux et de la terre, ALLAHOU RABBI. Presque au pas de course, il s’éloigne du village et aperçoit maintenant, distinctement les jeunes pousses de son champ.
Kawou Diallo, malgré son âge, est déjà là, en brousse, baissé, une houe entre les mains, grattant la terre, comme le faisaient jadis nos grands parents. Rien n’a changé ! Les méthodes culturales sont les mêmes. Pire, les terres s’appauvrissent et ne produisent plus que le tiers des efforts fournis par les paysans. L’eau aussi grignote, par le système de l’érosion, des mètres carrés de surfaces cultivables, rendant plus difficile la vie des cultivateurs.
Mais DIEU est grand ! IL nous a créés ; IL nous nourrira, c’est sûr et certain !
Mocirédin fait le tour de son champ. Il est confiant. Son choix est fait : il reviendra dès demain avec Taata et un travailleur saisonnier pour un deuxième labour car les herbes commencent à gêner une bonne germination de ses jeunes pousses.
Il ne s’éternisera pas à << Ségankané>>. Il fera un détour à Faloboula voir comment se déroule la cueillette du riz avant de rejoindre « sa » Montagne Centrale.
Très étonné, Mocirédin pose la main sur ses lèvres comme pour s’obliger à ne pas crier. A perte de vue, rien que du riz, encore du riz et toujours du riz. Ici, une moissonneuse va et vient, fauchant ce riz rapidement par gerbes. Là-bas, ce sont des hommes qui séparent les graines de l’épi dans une ambiance bon enfant pendant que les femmes remplissent des calebasses pour mettre le riz « propre » dans des sacs de cent kilogrammes. L’intervention du vent est bénéfique et permet de débarrasser le riz de l’ivraie.
Mocirédin est ébahi devant tant de « richesses ». La cuvette du Collenghal peut jouer un rôle important dans l’autosuffisance en riz de notre commune et même de tout notre département. Quand les riziculteurs seront mis dans des conditions idoines de productions quantitatives et qualitatives, Bakel nourrira toute la région de Tambacounda.
Grand rêveur, le mari de Diambéré Khoumba retourne sur ses pas, s’imaginant déjà couché sur un hamac comme un prince, jetant de temps en temps un regard d’homme heureux sur ses greniers remplis de mil, de mais et de riz.
Idrissa Diarra