
Les populations du Gadiaga ont commencé à subir les moments difficiles, en parlant du climat. Quand arrivent les mois de Mars, Avril, Mai, Juin et Juillet, le soleil, sans aucune pitié, même pour les personnes du troisième âge, darde ses rayons. La vie, qu’on soit à l’ombre ou à l’extérieur, devient dure.
Un calme apparent est là. Cependant l’on craint beaucoup ces moments : plusieurs décès interviennent durant cette période pour les vieilles personnes et chez les jeunes aussi qui fréquentent le fleuve à la recherche d’un peu de fraîcheur.
Il fait nuit. Le soleil a disparu depuis plusieurs heures mais sa chaleur couvre encore le sol. Il n’y a plus de honte à se déshabiller pour avoir un peu d’air même s’il est toujours chaud !
Mocirédin attend que Diambéré Khoumba lui serve sa première tasse de thé, après le bon dîner qu’elle a préparé comme à son habitude.
Il bâille sans parvenir à dormir. Le temps devient long et ennuyeux. La nuit sans sommeil sera insoutenable. Il faut donc s’occuper. Mais comment ?
Alors, Mocirédin se met à réfléchir, à se triturer les méninges, à faire le tour des activités de la journée, de la semaine, du mois… Il n’arrive pas à s’accrocher à une idée pertinente. Il « erre » mentalement dans le temps et dans l’espace.
<<-Diambéré Khoumba, combien de partis politiques avons-nous au Sénégal, demande Mocirédin à son épouse?
-Autant m’obliger à te dire la distance entre le ciel et la terre ! Je ne m’intéresse pas à ces questions-là. Mais il existe plus de trois cents partis politiques au Sénégal, dit-on. Qu’y a-t-il mon mari, veux-tu en créer un, toi aussi ? Ainsi, je serai à mon tour épouse d’un Chef de parti ! N’est-ce pas que cela peut ouvrir des portes dans notre pays ?
-Je ne comprends plus celle que j’ai épousée il y a une vingtaine d’années ! Tu me vois Chef de parti alors que je n’ai jamais été à l’école (française)?
-Mon mari, tu te sous-estimes trop ! En politique, point besoin d’avoir fréquenté les bancs d’une école française, il faut tout simplement savoir bien parler, dire des choses irréalisables, faire semblant de ne jamais l’avoir prononcé, écouter les besoins des concitoyens, être avec eux pendant qu’ils galèrent, oser les « abandonner » une fois élu ou nommé.
-Non, ma chère Khoumba, je ne me sous-estime pas. Je connais bien mes capacités et mon tempérament. Mon verre est petit mais je bois dans mon verre. Ce ne sont pas les beaux yeux d’un politicien ou la belle voiture de qui que ce soit qui me feront changer de comportement. Je ne mentirai pas à mes concitoyens pour parvenir à certaines stations. J’ai la chance d’être illettré. Je ne m’occupe donc pas de choses qui ne me regardent pas.
-Si les affaires de ton pays ne t’intéressent pas, qui es-tu Mocirédin ? Vas-tu nous voir mourir de faim et de soif, tes enfants et moi, sans que tu ne bouges le petit doigt ?
-Diambéré Khoumba, ne dramatise pas la situation. Tu le sais mieux que moi : je ne représente rien dans ce pays ! Laisse-moi oser exprimer mes idées, j’en ai le droit.
-Tu es libre, mon mari mais sache que ta liberté finit là où commence celle des autres ! Parle comme tu veux. C’est ton droit le plus absolu. Les autres ont aussi le leur. Cette frontière invisible mais importante doit nous faire réfléchir sur les autres mais avant tout sur nous-mêmes. Si chacun s’éduque, le monde deviendra meilleur.
-Justement, Diambéré Khoumba, si nous sommes arrivés à ce point que je n’ose pas appeler de « non- retour », c’est parce que les hommes (les politiciens) sont égoïstes, ils ne pensent qu’à eux-mêmes ! Le parti politique pour eux est un bouclier. Il les protège contre tout, une sorte de vitre blindée spéciale où l’on voit sans être vu. Il faut qu’on assainisse la vie politique, la vie tout court dans notre pays. Pour cela, nous devons adopter des solutions radicales qui vont faire mal, beaucoup mal, mais à la longue nous permettront de sortir la tête hors de l’eau, respirer de l’air pur.
-Quelles solutions proposes-tu donc mon mari, qui ne soient déjà essayées au Sénégal? Te feras-tu aider par des diables, des marabouts, des charlatans, des sorciers ou par d’autres politiciens plus véreux, plus corrompus que des robes sales ?
-Rien d’extraordinaire, ma chère épouse ! L’élection du Président de la République est maintenant derrière nous. Nous allons passer une semaine entière d’élections pour élire nos députés. Je dis bien une semaine entière : sept jours pour choisir parmi les 300 partis! L’enjeu en vaut la chandelle. Tout parti politique reconnu est obligé de participer seul, aux Législatives avec une caution de vingt-cinq millions, sans chercher refuge dans une coalition. Faute de quoi, le parti disparaît. A l’issue du scrutin, un parti qui n’obtiendrait pas d’élu aussi, disparaît. Ainsi, le peuple aura fait le tri en jetant hors du champ politique tous les parasites, les « vers intestinaux » et autres arrivistes et activistes qui ne veulent vivre que sur le dos du pauvre Sénégalais. C’est certain que, naturellement, le pays se retrouvera avec trois ou quatre partis seulement, c’est-à-dire les courants politiques exigés à l’époque du Président Léopold Sédar Senghor. Le Sénégal, sorti de cette longue période d’hibernation, se remettra petit à petit sur les rails. Les « Politiciens Professionnels » seront dans l’obligation de chercher du travail comme les « Gorgorlous ». L’activité économique redémarrera. Tout le monde étant sur le même pied d’égalité, une compétition saine remettra notre pays sur la voie du développement ! Tout ce que l’on obtiendra se fera par l’effort fourni. Chacun comptera sur ses capacités, sa compétence et non sur un lien ethnique, religieux, familial …
-Mon mari Mocirédin, je te découvre de jour en jour ! Laisse ta houe, quitte les champs et lance-toi dans la politique. Je serai bientôt « épouse de Député ».
-Tu n’as donc pas suivi mon raisonnement, Diambéré Khoumba. Moi, je me bats pour que le pays soit assaini et prêt à prendre son envol vers les sommets les plus hauts possibles et toi tu parles d’intérêt personnel ! Ne me déçois pas !
-Tu as raison, mon mari. Prends ta tasse de thé. Parfois, je te taquine en émettant certaines idées mais au départ, je connais déjà ta position. N’es-tu pas mon mari ? Celui avec qui j’ai accepté de cheminer pour le meilleur et pour le pire ? >>
Idrissa Diarra