
Mocirédin et son épouse Diambéré Khoumba se reposent à l’ombre du gros arbre de la maison, sous cette plante appelée <<Nîmes>> et qui, selon certains, a plusieurs vertus. Des oiseaux laissent choir des fruits entamés sur le couple, apparemment loin d’être gêné par l’agression aérienne des bêtes.
Un coq poursuit une poule. Dans leur jeu bruyant, ils dérangent un chat (le seul) de la maison qui guettait une petite souris venue chercher un peu plus de fraîcheur sous les canaris de Khoumba. Un margouillat accroché à une branche perd l’équilibre et tombe sur Diambéré. Elle crie puis secoue son époux qui se réveille brusquement en se frottant les yeux. Mocirédin se rend compte qu’il ne pourra plus dormir. Vite, il enfile son grand boubou bleu maintenant usé sur le dos vers l’épaule gauche, porte ses babouches jaunes sans talons et se met à chercher avec beaucoup de fébrilité son chapelet dans ses poches. Il le retrouve, l’enroule autour de son poignet droit, souffle quelques mots à sa dame et sort précipitamment de la maison.
Dans la rue, Mocirédin croise Abdou Salam, un handicapé, aveugle de naissance, devenu son ami, avec qui il partage ses moments obscurs dans l’éternelle noirceur des jours comme des nuits. A chacune de leur rencontre, son estime pour cet homme s’accroit.
Quand Abdoulaye Mbaye, cet handicapé visuel, mort les armes (pardon : le micro ) à la main en train de travailler, au lieu d’imiter des milliers d’handicapés tendant la main dans la rue à la recherche de piécettes d’un bon croyant, est pleuré par tout le pays, Mocirédin comprend pourquoi il admire ce Salam, griot, fils de griots, digne dans sa situation, dégageant une joie de vivre inexplicable.
Abdou Salam est né dans ce quartier pierreux portant le nom de Montagne Centrale. Comme toutes les << montagnes >>, le quartier est plein de cailloux et de pierres qui n’empêchent pas le natif de << Guidinkhama >> de se mouvoir comme un poisson dans l’eau. Sans canne, sans aucun guide, il vaque tous les jours à ses besoins .Qui ne le connaît pas, ce brave Salam à Saré Demba?
De << louba >>, chez lui à la mairie devant laquelle il est toujours placé, Abdou Salam reconnaît chaque passant par le bruit de ses pas ou simplement par le timbre de sa voix. Par sa gaieté contagieuse, il entraîne quiconque le dépasse dans la lumière de sa << nuit >>. Taquin à souhait, il n’énerve personne. Au contraire, sa compagnie est recherchée pour oublier un moment les problèmes de ce monde. N’est-ce pas pourquoi, certains comme Mocirédin l’appellent à tort ou à raison << Monsieur le Maire >> ?
Abdou Salam ne rate pas les heures de prières. De temps en temps, il prête sa voix chaude et forte à la mosquée de la place de l’indépendance en qualité de muezzin. Griot, Salam est fier de l’être ! Au cours de certaines festivités, les années passées, c’est lui qui battait le gros tam-tam (doundounghé ), sans aucune gêne, au bonheur de sa famille et des milliers de spectateurs.
Etre dans le noir, dans l’obscurité, depuis sa naissance, garder à tout moment la joie de vivre durant toute sa vie, la partager sans égoïsme avec tous, n’est-ce pas là, encore une fois, une leçon magistrale de MONSIEUR SALAM ?
Fermons les yeux, une seule heure durant, essayons de vaquer à nos besoins les plus élémentaires, nous nous énerverons sans raison. En réfléchissant un tout petit peu, nous comprendrons pour cette durée seulement le calvaire des handicapés visuels. C’est pourquoi, il est nécessaire de visiter les hôpitaux avec les enfants parfois, de leur expliquer ce qu’est la douleur, le mal, la souffrance afin qu’ils aient de la compassion, de la pitié pour les << malades >>, les démunis.
Les nuits sont noires. Partout, dans notre pays il existe des programmes d’électrification. Lé << solaire >> pour tricher le jour donne la lumière à des milliers de villages qui sortent de << l’ombre >> et ne protestent plus devant des caméras de télévision leur mal-vivre (manque de lumières). Le NOIR ? C’est notre couleur ! Nous sommes tous fiers d’avoir cette peau ! Mais vivre dans le noir, à tout moment pour certains et pouvoir garder la bonne humeur, CHAPEAU ABDOU SALAM!
Idrissa Diarra, www.bakelinfo.com