
Durant leur longue course nocturne, la lune et les étoiles arrivent au bout de la nuit, lessivées, épuisées. Lentement, elles disparaissent, laissant la place au jour qui se lève. Le soleil commence à éclairer la terre. La vie reprend. Les hommes, surtout les femmes animent les concessions par le << crass-crass >> grinçant de leurs balais et leurs chansons matinales pour bercer leur enfant ou pour se donner du courage en cette journée de labeur qui les attend avec ses corvées.
Mocirédin a, à peine avalé quelques gorgées de << sombi >>, la bouillie de maïs présentée par Diambéré Khoumba, son épouse, qu’il se dirige vers son champ. Avec la période de décrue, il faut se presser : au fur et à mesure que l’eau du fleuve se retire pour retourner dans son lit, l’espace libéré doit être exploité avant qu’il ne sèche.
A l’aide d’une sorte de pilon, le << doppaadé >> et étant seul, le pauvre Mocirédin fait le travail de trois personnes.
Il enfonce d’abord, à plusieurs reprises le pilon dans le sol encore humide ; puis il revient sur ses pas et verse quelques graines de mil dans les trous faits par le semoir traditionnel ; enfin, il passe une troisième fois pour couvrir les graines avec du sable.
Mocirédin halète et va s’abriter sous un arbuste : les premiers rayons du soleil chauffent déjà la terre. Il regrette presque d’avoir envoyé ses enfants à l’école. Ils l’auraient aidé, l’un pour semer, l’autre pour couvrir de sable la graine enfouie dans la terre. Il aurait gagné du temps et de l’énergie. Mais, on ne peut pas vouloir une chose et son contraire en même temps ! Il faut faire un choix. Il faut se sacrifier et permettre aux enfants, ses enfants, ses soutiens de demain, d’étudier, de réussir dans la vie.
Parfois, en pleine nuit, il se surprend à arpenter l’espace pourtant réduit de sa chambre. Il envie Samba Bocar, le frère de Siré Kâ et Dembo, le fils de Mama Seyna et de Baye Dramé qui ont été à l’école française contrairement à lui, Mocirédin toujours à côté de son père dans les champs ou en train de tresser des nattes, des éventails……Ces deux garçons, élèves de monsieur Diaman Bathily ont ensuite étudié au Collège. Malgré cela, ils se donnent entièrement aux travaux champêtres. Quels sacrés bons hommes !
Sous cet abri de fortune, Mocirédin récupère petit à petit de la fatigue et de la chaleur. Il commence même à divaguer spirituellement et à se poser des questions impossibles à résoudre.
<<-En ne m’inscrivant pas à l’école française, mon père a, encore une fois, eu raison ! Il a diminué mes soucis et freiné mes folles ambitions, se dit-il. Pas une seule seconde, mon esprit d’<<illettré>> n’effleurera l’idée, l’intention de devenir Président de la République. Si j’étais militaire, j’aurais pu penser à un coup d’état. DIEU merci, je ne suis ni << lettré >>, ni soldat ! Heureusement pour moi !
Est-ce pourquoi je ne comprends pas les raisonnements des Chefs d’ Etats, nos Présidents, ceux de mon AFRIQUE qui s’entêtent, qui s’agrippent, se collent, se tuent pour le POUVOIR?

POUVOIR
Penchant pervers penché vers le pêché
Odieuse ouverture vers l’ignominie
Univers renversant versé vers la versatilité
Valises pleines, vases valeureux volés puis vidés
Outrages faits aux braves peuples toujours électeurs,
Impossibles élus, naïfs et éternels bons serviteurs
Rares récepteurs, toujours gentils donateurs.
Je suis sincèrement étonné que des hommes ayant brigué le suffrage de leurs concitoyens, en toute << démocratie >>, s’accrochent << becs et ongles >> pour mourir au pouvoir ! Lutter pour un troisième mandat qu’on ne mérite pas, faire plus de vingt ans comme président, être enfant de président puis devenir soi-même président et refuser de céder la place aux autres, arriver après un coup d’état << normal >> pour dégager un dictateur et devenir au bout de quelques mois, grisé par le pouvoir et ne pas vouloir partir, que d’exemples qui déshonorent l’HOMME !>>
Mocirédin range ses outils de travail puis descend se rafraîchir au fleuve. Il remonte tout trempé, en reprenant le chemin du retour, ces sentiers de brousse, tortueux. Il aperçoit la Tour du mont aux singes puis le Fort Faidherbe là-bas à Bakel. Le monde est vraiment bizarre ! Ces deux symboles de la colonisation attirent son attention. Ils lui murmurent à l’oreille que, pourtant, les français que nous << trichons >> si bien, dans leur parler et leur habillement, se limitent à deux mandats puis s’en vont vaquer à d’autres occupations ! >>
Les pensées tristes qui l’accompagnent depuis les champs l’engourdissent et l’empêchent d’entendre les salutations du vieux Ndiaye Doucouré assis devant l’Inspection de l’Education et de la Formation. Il marche comme un automate. Diambéré l’accueille, lui prend des mains ses outils de travail. Elle se précipite vers le canari et revient avec de l’eau. Elle s’agenouille, tend le pot à son époux. Quelques instants après, elle se relève. Mocirédin la remercie. Il ne veut plus penser aux présidents, à la politique, aux politiciens…D’ailleurs, la voix du muezzin Kissima Cissokho venu de Dakar il y a tout juste une semaine, l’invite à tout oublier sur cette terre des hommes. Il faut penser à DIEU, DIEU seulement ; seulement LUI. ALLAH AKBAR !
Idrissa Diarra