Instituteur dans l’âme, passionné d’histoire et de culture, Diaman Bathily, 80 ans, n’a qu’un objectif : sortir Bakel, la ville de ses ancêtres, des cendres de l’oubli. Ce fut un tournant dans sa vie. Une chose à laquelle il ne s’attendait point se produisit : son père, Ibrahima Malal Bathily, se suicide d’une balle dans la tête, un après midi du 26 juin 1947. Diaman Bathily n’a que 18 ans. Ses souvenirs sont, pourtant, d’une précision diabolique. Il évoque comme si c’était hier le contenu de la lettre trouvée sur la table de son père, juste après le drame. Adressée au Commandant de Cercle de Matam. « (...) Puisse ma mort servir à la France et au Goye en effervescence à cause des idées politiques qu’ils n’ont pu digérer. (...) Je suis victime de politiques nombreuses et d’injustice. Vous confie mes nombreux enfants et femmes. Dernier vœu. C’est fini ». Lorsque Diaman Bathily, 80 ans, parle de cette fin tragique de son père, le ton baissé, les mots pleurent. Pour tout dire, il a l’air las. « C’est comme si le ciel était tombé sur ma tête », se remémore t-il. Dans le récit de cet événement douloureux, Diaman garde en mémoire certains éléments qui auraient pu l’alerter. Par exemple, cette image de son père attablé, toute la nuit, dans sa chambre, consumant, sans répit, des cigarettes. Ou encore, le changement de celui-ci, devenu brutalement soucieux, perdu dans ses chagrins et troublé. « Voilà le destin de mon père », soupire l’octogénaire qui a fini de se résigner. Soixante trois ans après, il ouvre ce chapitre douloureux du livre de sa vie. Diaman Bathily nous reçoit, chez lui, au quartier Grimpalé. Grande maison, vaste cours. De la porte principale nous parvient le bruit des élèves de l’école régionale de Bakel. Un établissement qui porte le nom de son défunt père. Teint clair, taille courte, cet instituteur à la retraite fascine par son ouverture d’esprit et sa remarquable simplicité. « Je suis un enseignant dans l’âme », lance t-il lorsqu’on lui demande de se présenter. Une façon de dire qu’il ne respire que pour l’école. Oui, on apprend une chose de Diaman, qu’on n’apprend peu chez beaucoup d’enseignants d’aujourd’hui : la vocation. « C’est en 1943 alors que j’étais au CE2 à l’école urbaine de Thiès que j’ai opté pour l’enseignement », renseigne t-il. Compromettant ainsi le rêve de son père qui voulait d’un fils médecin ou ingénieur. « Un jour, se souvient Diaman, mon père est venu sagement me supplier de ne pas devenir enseignant comme lui ». C’était peine perdue. Le jeune Diaman, très doué en maths, s’entête, influencé qu’il est par l’ancien ministre de l’éducation, syndicaliste et homme politique thiessois, Doudou Ngom. Un instituteur passionné qui avait « une très belle plume ». « Doudou Ngom, rappelle t-il, était un « enseignant modèle, quelqu’un qui aimait son métier ». De lui, Diaman garde d’agréables souvenirs. Impérissables. « Son dévouement restera à jamais gravé dans ma mémoire ».
« Pa Diaman » comme l’appellent affectueusement les jeunes de Bakel, c’est d’abord un « tidiane », disciple de Cheikh Ahmed Tidiane Ba de Médina Gounass. Un passionné d’histoire et de culture qui entre en 1948 à la prestigieuse école normale William Ponty. Un pédagogue qui commence sa carrière d’enseignant à Saldé en 1951. Un « fou » de l’école qui a fait également, craie en mains, les beaux jours de Podor, Dagana, Louga et Dakar. Une vie pour l’école et les enfants. Mais Diaman, c’est aussi et surtout un humaniste qui aime tyranniquement son terroir. Voici un enseignant qui renonce librement aux avantages de la séduisante et attirante capitale, Dakar, pour se rendre à la lointaine et dépourvue contrée, Bakel, la ville de ses ancêtres. Pourquoi ? Parce que là-bas on attribuait les échecs scolaires aux agissements des enseignants. C’est donc au nom de l’école et de sa communauté que Diaman quitte Wagou Niayes 1 (Dakar) en 1963 pour l’école régionale de Bakel. Devenant ainsi le seul instituteur titulaire du département. « J’avais trouvé des élèves avec un niveau très bas », se souvient t-il. A Bakel comme partout où il est passé, Diaman a usé de sa pédagogie active pour former de bons élèves. « De bons citoyens », rectifie celui que tout le monde appelle, fièrement, directeur. « L’enseignement, dit-il, est un art, ça ne s’improvise pas ». Le retraité, qui ne passe pas inaperçu dans les ruelles de Bakel, a tout abandonné pour l’école sénégalaise. Aujourd’hui, sa plus grande fierté, c’est d’avoir contribué à la formation de nombreux cadres Sénégalais, dont l’ancien recteur de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, le Pr. Ndiawar Sarr. Mais il y a un défi qu’il compte relever à 80 ans : sortir Bakel, « le plus beau coin du monde » des cendres de l’oubli. Son atout ? Un riche potentiel culturel. Un cadre ? La dynamique Association pour la revalorisation de la culture à Bakel. Une tâche difficile mais pas impossible pour cet instituteur qui appartient à cette génération pour laquelle enseigner était devoirs, responsabilités mais surtout beaucoup de travail et de dévouement. Un sacerdoce. Partout où il est passé, l’instituteur Diaman Bathily a su créer une osmose entre l’école et son environnement. Impliqué dans le foyer des jeunes de Podor et de Matam (entre1954 et 1958), il devient (1959-1961) un membre très actif du Cercle des jeunes de Louga. « Nos activités, se souvient-il, paraissaient dans tous les journaux de l’époque ». Devoir d’enseignant et obligation citoyenne rythment la vie de cet instituteur délicieux, chaleureux et plein de prévenance.

Aujourd’hui, après 35 ans au service de l’éducation, « Doyen » Bathily vit intacte sa passion : celle d’éduquer. Classe à ciel ouvert, sa maison ne désemplit pas. Petits-fils et jeunes enseignants continuent de bénéficier quotidiennement de ses précieux cours « Pa Diaman représente un trésor pour nous. Il est disponible et aime partager son expérience », témoigne Aminata Camara, enseignante à Bakel. Visiter des amis et voisins, participer à des réunions mais surtout prier, meublent les journées de ce Bakélois qui tient sa ville à cœur. « Bakel ne mérite pas le sort qui lui est réservé. L’Etat doit réhabiliter cette belle ville au passé glorieux », lance sans cesse Diaman Bathily. Qui a un projet à court terme : faire jouer à Bakel sa partition au prochain Festival mondial des arts nègres, prévu, en décembre prochain, au Sénégal.
Abdoulaye Diallo
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