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Moussa_Diouara

Moussa DIOUARA, un homme qui s’accroche à un métier qui agonise

La rédaction de ce papier est guidée par deux préoccupations. D’une part, le constat qu’une activité traditionnelle est en forte régression à Bakel (aucun membre de la famille Sylla, détentrice du monopole du métier, ne pratique aujourd’hui la cordonnerie). Ce délaissement, loin d’être brutal, tient à plusieurs facteurs notamment  l’avancée de l’économie moderne, le phénomène migratoire,  l’orientation des dernières générations des de la dite famille vers d’autres métiers, l’implication massive d’autres groupes ethniques ou familiaux non soninkés (peuls, wolofs, etc.) et même des étrangers (nigériens, ghanéens, etc.), l’ouverture du métier à plusieurs couches sociales,  la modernisation de l’artisanat de son ensemble, etc.

D’autre part, une volonté de rendre hommage, à travers une petite biographie, à un homme dont la gentillesse et l’humanisme sont de notoriété publique à Bakel. Il est pratiquement le seul  à exercer  avec passion et de manière traditionnelle la cordonnerie à Bakel.

L’attachement de Moussa Diouara à la cordonnerie est la preuve que les sociétés africaines ont toujours réagi face aux influences extérieures et que les ruptures se sont toujours installées en douceur, comme ce fût le cas dans cette corporation. Comment alors un patronyme Diouara est-il arrivé à maintenir et à reproduire une activité alors que les Sylla (détenteurs traditionnels légitimes à Bakel) s’en sont détachés ? Le parcours de cet homme semble particulièrement intéressant voir même atypique.

Racines connues et enfance mouvementée

« Quand tu entends le nom Diouara, ce n’est ni un forgeron, ni un griot encore moins un noble mais c’est toujours un cordonnier (garanke en soninké) ».

Moussa Diouara, communément appelé Diouara  à Bakel, est issu d’une grande famille de cordonniers dispersée entre le Mali, la Mauritanie, la Gambie et le Sénégal. Il naquit  en 1961. Son père s’appelle Kaba Diouara et sa mère Fatoumata Maakalou, originaire de Lani (localité située à proximité du barrage de Manantali au Mali).

Son grand-père maternel Mamadou Maakalou était connu à Bakel. Il avait des liens très particuliers avec la grande famille Sylla. Ces liens, au-delà de la pratique du métier, se sont élargis dans le milieu politique et dans les pratiques matrimoniales. Mamadou Maakalou et Balla Sylla étaient des amis inséparables. Ils étaient également des compagnons du Président sénégalais Léopold Sédar Senghor. Ils confectionnaient ensemble des chaussures pour plusieurs hommes politiques de Bakel et du Sénégal. Ils vendaient ces mêmes chaussures à la gare de Kayes. Son grand-père paternel lui était installé au Fouta. C’est là où naquit son père Kaba.

L’enfance de Diouara, même si elle n’est pas exceptionnelle, n’a non moins été tranquille. Il perdit son père une semaine après sa naissance. Il ne l’a pas connu. En revanche, il bénéficia de tout amour qu’une mère peut offrir à son enfant au point de l’amener avec elle partout où  elle part.

 Comme la coutume le recommandait, juste après le décès de son père, sa mère veuve quitte le domicile conjugal pour aller passer les quarante jours chez ses parents. Diouara la suit. Il y passa une partie de son enfance et de son adolescence auprès de ses oncles à Lani (Mali) avant de rejoindre sa  maison paternelle au Fouta. Sa mère se remaria à nouveau et eut d’autres enfants, toutes des  filles. Diouara ne sentait plus la solitude. Il eut des sœurs.

Son père Kaba Diouara pratiquait la cordonnerie avant toute chose. C’est avec la mise en place du chemin de fer Dakar-Kayes qu’il finit par  devenir cheminot à Kayes. C’est ainsi qu’il retourna au Mali, terres de ses ancêtres et y épousa Fatoumata Mankalou. Il quitta ainsi son village natal de Bokidiawé dans Fouta sénégalais pour aller s’installer à Kayes. Au cours de son voyage, il fait un passage à Bakel  et sympathisa avec la famille Sylla.

L’installation à Bakel (Sénégal) et la pratique du métier

« Mes ancêtres sont venus du Mali. Ils faisaient la cordonnerie. A chaque fois qu’ils arrivent à pratiquer convenablement leur métier dans un lieu et qu’ils en tirent profit, ils s’installent définitivement dans ce lieu. C’est comme ça que je suis venu à Bakel. »

Diouara s’installa à Bakel en 1983 après un bref séjour au Fouta. La présence de Diouara à Bakel était essentiellement liée à la pratique de l’activité de la cordonnerie. Toutefois, cette installation a été facilitée par le rapport ancien que son père tissait avec les notables de Bakel. Et les « graines amicales et professionnelles » plantées par son père n’étaient pas mortes. La notoriété de celui-ci à Bakel était telle que son fils ne pouvait pas être considéré comme un étranger dans cette ville. C’est pourquoi dès l’arrivée de Diouara à Bakel, deux notables l’ont toute de suite accueilli et protégé. Il s’agit de Balla Sylla (de la famille Sylla) et  Tionga Soumbounou (de la famille Soumbounou) :

«  Quand je suis arrivé à Bakel et que j’ai dit aux gens que mon père s’appelle Kaba Diouara, ils m’ont tous ouvert les bras. Plusieurs familles de cordonniers voulaient devenir mon jatigui. Je suis finalement resté  chez Tionga Soumbounou »

Tionga Soumbounou représentait un père pour Diouara. C’est auprès de lui que Diouara renforce sa connaissance de la cordonnerie. La preuve quand celui-ci partait en voyage à Abidjan (Côte d’Ivoire), il confia l’atelier à son fils et principalement à Diouara. Ce dernier était non seulement logé chez Tionga mais aussi il travaillait dans son atelier. Avec le métier, il gagnait bien sa vie. Il était à la disposition de son père Tionga Soumbounou, son patron et s’occupait de lui jusqu’à son décès. Quand les gens voulaient prendre l’atelier, Tionga s’y était opposé et voulait que Diouara se charge de la gestion de l’atelier. Il finit par hériter de l’atelier de Tionga Soumbounou. Il travailla avec son fils Lassana. Mais ce dernier quitta l’atelier et le laissa à Diouawara. Avec le métier, Diouara tire des revenus importants qu’il confiait à un grand commerçant au marché de Bakel. Au décès de son grand père au Mali, il partit présenter ses condoléances à la famille et profita de ce séjour pour rendre visite à sa mère.

De 1983 à nos jours, Diouara occupe le même atelier. Il faisait aussi des campagnes dans les villages environnants. D'abord, Il fit son initiation auprès de son grand père Mamadou Maakalou. Il faisait des chaussures pour les hommes et les femmes. La régression de l’activité de la cordonnerie s’explique, selon Diouara, par un manque d’outils modernes. Diouara tire de revenus plus ou moins important dans cette activité. Les peaux de bœufs  se vendent  à 3.000 Frcs Cfa en Mauritanie, à 2.500 Frcs Cfa au Mali et à Dakar. Mais il achète les peaux importés du  des Maures. Il combine son métier  de cordonnier à  la médecine traditionnelle (maux de ventre, maux de tête, etc.). Il travaille avec les marabouts.  Il se charge de la confection de leurs talismans. Et sa rémunération peut aller jusqu’à 50.000 Frcs Cfa. Cela lui permet au retour d’avoir des secrets des marabouts. Beaucoup de marabouts cherchaient des clients à travers sa personne.

L’héritage incertain

« J’ai un enfant qui travaille dans mon atelier. Il est à l’école. Je veux qu’il reste à l’école. Mon fils ainé est lui mécanicien. Mais moi je vais mourir dans mon  métier. »

Aujourd’hui, le constat qui se dégage en tout cas pour le cas de Bakel est que toutes les familles qui pratiquaient la cordonnerie l’ont abandonnée. Cela est dû en grande partie à l’école française, à la mondialisation mais aussi au départ en migration. Diouara gagne moins de 2.000 Frcs dans son activité, ce qu’il considère comme très faible. La compétition exercée par d’autres couches et un certain discours religieux qui décrédibilise la fabrication des gris-gris participent également à cette régression :

«  Tout le monde fait la cordonnerie. En plus, les wahhabia nous disent que les gris-gris ne sont pas bons. Ils disent que l’Islam l’interdit ».

Une chose est certaine. La plupart des membres de ces familles traditionnellement appelées cordonniers exercent d’autres métiers. On les retrouve dans l’enseignement, dans l’administration et d’autres secteurs de l'entreprenariat La reproduction n’a pas eu lieu avec les dernières générations. Le fils  ainé de Diouara fait de la mécanique. Son fils cadet finira certainement par prendre le chemin de l’école française. Le métier de cordonnier basculera alors vers d’autres couches sociales et mieux elle se modernisera du fait du niveau d’urbanisation de la ville de Bakel. D’où ce cri de détresse exprimé par Diouara en ces termes :

« Je veux qu’on m’aide à avoir des matériaux de travail. Si j’avais de bons matériaux, je pourrais fabriquer de belles chaussures pour les gens. Mais je n’ai pas de matériels. »

Nous n’irons pas jusqu’à prédire la belle mort de la cordonnerie mais cette corporation ne sera plus ce qu’elle était à Bakel. 

Saliou Dit Baba DIALLO

Doctorant au Laboratoire Migrinter (Université de Poitiers)

NB : Ces commentaires sont tirés de l’entretien que Moussa Diouara nous a accordé le 02 décembre 2013 dans son atelier à Bakel (Sénégal).

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