
Mocirédin, ce matin-la aussi faisait face à l’Est, le regard tourné vers le fleuve, la tête pleine d’idées qui démangeaient son pauvre cerveau.
De temps en temps, le fils d’Aîssé Moussa lançait un caillou qui zigzaguait sur l’eau. Ce jeu ramenait dans son esprit son passé et lui rappelait ses petits camarades d’autrefois comme Ndirissa Sidy, Ablaye Touré, Papa Cissokho, Ali Diaba, Bambo, Boulaye Moumé, Ablaye Fassé, Moussa Dialymady, Mamadou Bakary, Abou Diop… Ce sont ses compagnons de <<wanthio >>, cette veillée de veille de Tabaski ou de Korité .Ndeyssane ! Ha le passé !
Il reprenait un autre caillou, et plein d’ardeur, le lançait encore plus loin.
Ndeyssane ! Ha l’ enfance ! Que de plaisirs !
Face au fleuve, devant ces eaux qui rutilaient sous ses yeux émerveillés, d’innombrables questions se bousculaient, trottaient dans sa tête.
Il sait que Mamadou Touh et sa famille sont allés s’installer, là-bas, loin du fleuve, dans un village où boire, se laver, faire le linge posent problèmes !
Mais le fils du vieux Touh n’est pas le seul à vivre éloigné du fleuve. Ils sont nombreux !
Dans le Diéry, il y a beaucoup de villages, très éparpillés. Pourquoi compliquer sa vie et habiter loin de l’eau ? Est-ce seulement pour exploiter les terres et accorder aux bêtes une certaine liberté et par la même occasion leur éviter de créer des dégâts sur les terres de cultures, ou est-ce parce que les villages de bords de fleuves sont surpeuplés ?
En tout cas, lui, le neveu de Yougoukhassé et de Dougharé, remercie ses parents d’avoir choisi Saré Demba, cette belle cité qui longe ce beau fleuve qui prend sa source dans les massifs du Fouta Djallon.
Il se relève, ramasse un autre caillou et le fait gicler sur l’eau en riant puis en se remettant à penser.
<<-Ce fleuve, se dit-il, c’est une immense étendue d’eau, heureusement douce ! Au-dessus, vont et viennent des pirogues, des petites, des moyennes et même des grandes avec des moteurs de camions. Ces pirogues voyagent : elles transportent des personnes et leurs biens. De Saré Demba, elles vont en amont ou à aval du fleuve. Parfois leur déplacement est facilité par des pagaies mais de plus en plus la motorisation se généralise.

Un fleuve, continue-t-il, ce n’est pas seulement le transport ! Pour nous, il représente un lien ombilical entre des pays, une douce frontière apaisant les ardeurs belliqueuses des uns et des autres.
Un fleuve poursuit-il, c’est un trait d’union entre les peuples, des similitudes ethniques, religieuses, culturelles de part et d’autre de ses rives, c’est une différence tolérée et tacitement partagée.
Un fleuve c’est aussi la renaissance économique avec l’exploitation des rives en maraîchage, cultures de décrue, nourrissant des millions de personnes.
Ce n’est pas tout ! Ha le fleuve ! C’est bien sûr la pêche, même si actuellement les poissons sont rares.
Autrefois, aime-t-il à le rappeler souvent aux plus jeunes, l’on prenait les poissons sans difficulté. A l’aide d’une bouteille sans fond, d’un pagne, à la ligne, au filet (épervier, nasse …)>>
Mocirédin se rappelle surtout le respect que les populations vouaient au fleuve et à ses génies : Feinda Goundeyni, Demba Binné……. Chaque génie était adoré et des offrandes lui étaient offertes régulièrement.
Il revoit en mémoire, ces jeunes filles qui traversaient la ville en chantant :<<lewré lewré ,kadio banna…>> pour déposer plus tard sur l’eau à côté de cet arbre aquatique, mystique et immortel une calebasse remplie de couscous arrosé de lait pour leur protectrice Feinda.
Mocirédin donnerait les yeux de sa tête si quelqu’un pouvait lui révéler les secrets de sous l’eau ! Ha si seulement, en douce, un initié lui soufflait ces secrets, il serait le plus heureux des hommes de cette terre !
Que se passe-t-il réellement sous l’eau ?
Nos génies déjà, y sont. Il y croit dur comme fer. Les poissons, les caïmans, les hippopotames, les lamantins y vivent aussi ! Des plantes aquatiques et quoi d’autres peut-on y voir ?
Il est curieux de découvrir cet espace secret, mythique et même mystique, qu’aucun habitant de Saré Demba ne veut et ne peut (peut-être) pas transpercer !
Bon ! La vie est ainsi faite ! Les secrets, surtout les plus petits, représentent le sel de la vie. Ils entretiennent des liens entre des êtres, ils installent la peur de la mort et font tourner l’œil invisible au-dessus de nos têtes.
<<Croire savoir, c’est s’interdire d’apprendre >> comme le disait l’autre, mais tout connaître n’est accordé à aucun être vivant !
Idrissa Diarra,www.bakelinfo.com