
Mocirédin et son épouse Diambéré, Khoumba l’unique femme de sa vie, étaient assis face à face, une calebasse de bouillie de maîs ( sombi ) entre eux. Les coques qu’ils tenaient dans leur main allaient et venaient de la calebasse dont le contenu diminuait, à la bouche qui appréciait apparemment le bon petit déjeuner de ce joli matin de Décembre.
Diambéré réunit calebasse et coques, balaie la place puis se prépare pour le marché.
Une fois seul, Mocirédin se prête à son jeu favori, comme d’habitude: la réflexion. Il étale une peau de mouton qui lui sert souvent de natte de prière puis se plonge profondément dans ses pensées. Il ne peut voir le ciel car le toit de la hutte sous laquelle il est couché l’empêche de << voir >> le BON DIEU pour lui soumettre ses inquiétudes tout à fait légitimes, croit-il, afin qu’une solution, le plus rapidement, soit trouvée aux multiples interrogations qui le rongent. N’empêche ! A chaque instant, il jette en l’air des << ALLAH AKBAR !>> langoureux, sorte de traits d’union entre LE TOUT PUISSANT et lui.
<< -Ô temps, suspends ton vol ! Arrête ta marche ! Ne bouge plus pour permettre au monde de faire comme moi, réfléchir au devenir de notre planète- terre. Ce n’est pas de la prétention ! J’ai peur. Je dors de moins en moins. Je me lamente de plus en plus. Mes larmes coulent avec plus de fréquence. Mes sourires si éclatants ont disparu.
<< ALLAH AKBAR ! ALLAH AKBAR ! >> Des mosquées se construisent à vitesse supersonique, des sermons se font à chaque vendredi, des églises apparaissent aussi partout. Cependant, les crimes, les viols, les guerres, les coups d’état ne représentent plus les exceptions qui confirment les règles mais les règles qui confirment les exceptions.
Ce qu’il nous faut, à mon humble avis, c’est CONSTRUIRE ! Mais que (ou qui) faut-il CONSTRUIRE ? Toute la question est là ! La réponse est toute aussi simple ! C’est l’HOMME qu’il faut CONSTRUIRE .Je ne cesse de le crier partout, sans être écouté à plus forte raison entendu. A beau investir dans des domaines aussi divers que variés, si la préoccupation première n’est pas l’EDUCATION tout est et sera voué à l’échec. Bâtissez des immeubles, construisez des routes, des mosquées, des églises, ouvrez des usines, c’est bien ! Même très bien ! Mais, il faut un préalable. La première pierre doit être posée pour la CONSTRUCTION de l’HOMME. Cet HOMME, bien CONSTRUIT se chargera des autres constructions. >>
Tout à ses pensées, Mocirédin ne voit pas venir sa douce moitié, la Diambéré de son cœur, hors d’elle-même.
<< - Ce n’est pas possible ! Regarde ces trois petits poissons, même pas de notre fleuve, mais de la mer et congelés en plus pendant des jours, vendus à 1500 F ! Comment peut-on vivre correctement ainsi?
-Tu es en train de lire exactement dans mes pensées, Khoumba ! Ce qu’il faut pour le monde, ce sont des HOMMES honnêtes, loyaux, francs, sincères. Ils se chargeront plus tard d’ériger, de bâtir, d’élever, de construire tout ce qu’on veut comme édifice !
-Tu as encore raison, mon mari ! Que nos autorités construisent donc des ECOLES, qu’elles les multiplient par 10, 100 et même 1000.La RESSOURCE HUMAINE est le meilleur investissement.
-Eh bien ! Le prix de tes poisons t’a vraiment transformée ! Tu es subitement devenue très intelligente .Cela me convainc que je dois continuer mon travail d’éducation.
-Tu te glorifies vite, mon homme ! Qu’est devenue l’éducation que mon père et ma mère m’ont gracieusement << donnée >> et que j’ai gratuitement investie chez toi ? Sous-estimes-tu mes parents ?
-Non, mais n’oublie pas qu’avant d’accepter ma demande, tes parents m’ont bien regardé et compris que je suis celui qui te va comme un gant, capable de te transformer en bien.
-Tu as raison, mon mari, mais tu oublies un détail très important : c’est toi qui m’as choisie parmi toutes les filles du village ! Pourquoi l’as-tu fait ? N’est-ce pas grâce à ma bonne éducation et à mes formes rondes d’Africaine ? Sois franc et reconnais-le !
-N’en parlons plus et revenons à nos…….RESSOURCES HUMAINES. Sans elles, tout s’écroule : les bâtiments que nous avons construits et qui ont englouti tant de millions. Va préparer le déjeuner car mon ami Ndirissa Sidy sera là d’un instant à l’autre.
-Pourquoi, tu ne me l’as pas dit avant que j’aille au marché ? J’aurais cherché un gros poisson ou de la viande !
-Ce n’est pas tard ! Tu as des poules à la maison. La lame de mon couteau est toujours bien aiguisée, prête à servir. Que prévois-tu pour recevoir mon ami ?
-Ah ! Vous les hommes ! Tout vous appartient ! << Ma >> femme, << mon >> ami, << mes >> enfants…. Vous dîtes même à qui veut vous écouter que l’œuf comme la poule (c’est-à-dire la femme et tous ses biens) reviennent au << maître >>, le mari.
- Tu as bien parlé ! Maintenant, dis-moi, que décides-tu de préparer pour accueillir ton mari ? Tes trois petits poissons ou deux coqs ?
-Allons pour les coqs, mais tu vas me rembourser après. Voilà que désormais tout m’appartient ! C’est << mon >> mari, ce sont << mes >> poissons, << mes >> coqs car ça n’arrange pas << mon >> homme.
-Sans toi, Diambéré Khoumba que deviendrai-je ? Hein ! Réponds-moi !>>
Toute fière d’elle-même, Khoumba chantonne le << Ndougou Demba >> et entre dans sa cuisine. Mocirédin se donne quelques coups de vent avec son éventail et promet de continuer la réflexion à l’arrivée de son ami Ndirissa Sidy.
Idrissa Diarra, www.bakelinfo.com