
Depuis quelques jours le climat tempère son ardeur et permet au thermomètre de souffler, de respirer un grand coup d’air frais. Le temps est plus ou moins doux ces derniers jours du mois de Ramadan.
Des souvenirs lointains assaillent Mocirédin. Il se rappelle : de sa tendre enfance à la fin de sa jeunesse, la Korité et la Tabaski, bien qu’étant des fêtes musulmanes, se célébraient le soir, à la place Waoundé Ndiaye par des chants et des danses.
Khambo Dialy appelé par ses proches Mamakhé, le grand griot, à l’occasion de ces fêtes, faisait « parler » son instrument, le tambour d’aisselle (tama) et il endiablait en même temps la foule composée surtout de femmes bien vêtues.
Avec sa sensibilité à fleur de peau, l’émotion commence à brouiller le regard.de Mocirédin. Il se rappelle. Mocirédin se souvient de ces belles Soninkés au teint noir, naturelles, d’une beauté réelle, non artificielle, sans fards.
Teints à l’indigo, les vêtements qui les couvraient, accroissaient la couleur de leur teint d’ébène et mettaient en valeur la blancheur de leurs dents.
Elles étaient magnifiques, les jeunes filles Soninkés d’autrefois. Les tresses obtenues après des heures de souffrance sous les doigts de fée de Bolo Goundo Dougharé les rendaient encore plus belles.
Le henné, pas trop forcé, accomplissait le travail de la nature aux mains et aux pieds de ces jeunes filles.
La démarche de reine dont elles seules avaient le secret rendait majestueuse leur allure et augmentait leur charme. Qu’elles étaient belles, les jeunes filles Soninkés !
<<-Mpaaba, nous risquons de rater la prière de l’AID EL-FITR, si nous ne partons pas maintenant, dit Taata, le fils de Mocirédin.
-Tu as raison, mon enfant, répond l’époux de Diambéré Khoumba, effaçant les traces de larmes de ses yeux rougis par une vive émotion.>>
Mocirédin se redresse et ajuste sa belle tenue de Bazin bleu envoyée de la France par sa nièce Fanta Aminta. Il chausse ensuite les babouches jaunes qui l’accompagnent. Il prie pour « sa fille » et sort de la maison avec son fils Taata, coinçant deux nattes de prière sous son aisselle gauche.
De la Montagne Centrale, il est passé derrière la Maison d’Arrêt et de Correction (MAC), bifurquant ensuite à gauche avant de longer le chemin, tout près du mur du Fort Faidherbe, l’actuelle Préfecture qui mène vers la place de l’Indépendance.
Devant la demeure des Tandian, il trouve son ami Kader qui l’attendait. Jusqu’à la grande Mosquée de Modincané, Mocirédin n’a pas ouvert la bouche, se contentant d’égrener son chapelet en hochant la tête pour répondre aux multiples salutations de fidèles qui se rendent aussi dans le même lieu de prières que lui.
Il faut, de préférence, emprunter une autre voie pour le retour à la maison. Mocirédin et son fils Taata retrouvent Diambéré Khoumba et sa fille MmaTokhora en train de s’affairer dans la cuisine.
<<-Kha ké biré waga ! (que Dieu nous prête longue vie !) lance Mocirédin à l’endroit de son épouse et de sa fille.>>
Puis commence une longue série de prières et de souhaits répondue par des « Amen ».
Mocirédin se déshabille, en prenant bien soin de plier et de ranger le Bazin bleu offert par sa nièce Fanta Aminta.
Dans la cour de la maison, il cherche à se rappeler ses vieilles habitudes avant le mois béni du Ramadan. Alors, il s’approche du petit canari placé plus haut que les autres, remplit un pot d’eau et en boit rapidement le contenu.
<<ALHAMDOULILAH ! ne cesse-t-il de répéter ! DIEU est grand !>>
Il retourne dans la chambre à coucher puis revient avec un oreiller. Il « s’étale » sur une natte et commence déjà à ronfler.
Il rêvera sans nul doute de son enfance, des chants et danses, de la fête de Korité, du tambour d’aisselle de Mamakhé, le grand griot, des belles jeunes filles Soninkés d’autrefois qui hantent ses sommeils.
Diambéré Khoumba regarde son mari dormir, sourit pour ne dire que : « ASKEYE ! AN KE BIRE WAGA, mon homme à moi seule !»
Idrissa Diarra
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