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La Voix du département de Bakel

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Diambéré Khoumba se dandine allègrement entre « sa » cuisine et « sa » chambre à coucher qui ressemble au four du boulanger traditionnel par la fumée s’y dégageant. Le parfum exhalé par l’encens embaume non seulement la maisonnée mais « s’exile » hors de la demeure de Mocirédin !

 

 

La grande Diambéré parait heureuse. Son homme qui n’a jamais voyagé de sa vie, revient de la « poche », c’est-à-dire la zone de Kéniéba-Lali-Toumboura-Sadatou, inaccessible dès après les premières pluies. Ainsi appelée, cette partie de l’Arrondissement de Kéniéba ouvre difficilement ses portes aux visiteurs, à n’importe quelle période de l’année : actuellement les gros camions ont totalement écrasé le sol. La route est impraticable. La poussière soulevée par le passage des véhicules propage des maladies respiratoires. Avec parfois les pluies précoces, l’Administration abandonne ses bureaux qui sont dans un état indigne pour le Commandement Territorial, pour s’installer à Kidira en évitant d’être « emprisonnée » dans la « poche ».

 

La participation de son mari à ce voyage est due à la bienveillance du chauffeur de l’Inspection de l’Education et de la Formation (IEF) Lamine Dicko qui avait besoin d’aide durant ce déplacement long et difficile. Sans hésiter, l’époux de Diambéré, Mocirédin a saisi la perche tendue qui lui permet de découvrir d’autres endroits différents de son village natal, Bakel qu’il n’avait jamais quitté auparavant.

 

Le visage radieux de Diambéré Khoumba, sa démarche chaloupée, son sourire naturel, ses chants créés en l’honneur de Mocirédin, l’encens «sataniquement » concocté, la bonne odeur qui se dégage de la cuisine, tout ce mélange hétéroclite montre l’importance de Mocirédin dans le cœur de son épouse !

 

Tout couvert de poussière, l’air harassé mais loin de ressembler à une haridelle, car bien nourri lors de son séjour dans la « poche », Mocirédin respire longuement et fortement avant d’enjamber le seuil de sa demeure.

 

« -Quelle joie de rentrer chez soi ? Je n’ai jamais eu cette sensation ! C’est mon tout premier voyage, ma première sortie, la première fois que je m’éloigne de « ma » Diambéré Khoumba, après plus de quinze ans de mariage. Ouf ! » 

 

Diambéré va à la rencontre de son mari et lui retire son balluchon des mains. Elle lui tend un pot d’eau fraîche, en prenant bien soin d’exécuter une génuflexion dont elle seule a le secret.

 

Les bruyants « gouloukh-gouloukh » de l’eau qui traverse la gorge asséchée par la chaleur de cet après-midi sont des signes extérieurs de remerciement. Ils disent, à travers ce bruit incongru : merci, merci encore !

 

« -Bienvenue ! Et ton voyage, mon mari ?

 

-Désormais, comme les enseignants, je vais « user plus de talons que de fonds de pantalons ».

 

-Que veux-tu dire par là, Mocirédin ?

 

-Je ne vais plus m’asseoir, je vais marcher, sortir pour découvrir ailleurs, « ouvrir » mes yeux !

 

-Tu veux donc m’abandonner ?

 

-Non, Diambéré ! Toi, tu es la Khoumba de mon cœur. Tu as occupé tout l’espace qui s’y trouve. Sois tranquille ! Pendant ces quatre jours, j’ai énormément appris. L’on m’a toujours parlé d’ «  OR NOIR » en pensant au pétrole. Chez nous, dans notre département, dans l’Arrondissement de KENIEBA, il y a de l’or, de l’or pur, ce métal précieux de couleur jaune qui affole les populations ! Elles quittent partout pour  déchirer  et blesser nos terres afin d’y extraire ce métal satanique ! Des Maliens, des Burkinabés, des Mauritaniens, des Ghanéens, des Nigérians….et bien sûr des Sénégalais partagent le même espoir de retourner chacun chez soi avec des lingots d’or.

 

-Tu m’en as donc rapporté après ton court passage, lui dit l’épouse ?

 

-Comment le pourrai-je sans matériel, répond Mocrédin ?

 

-C’est pour te faire parler, mon homme ! Ta voix m’a manqué.

 

-Diambéré, j’ai peur. L’avenir de nos enfants est en jeu avec les « DIOURA », ces sites d’orpaillage qui ont envahi tout l’Arrondissement de Kéniéba. Autrefois, on ne parlait que du village de Diyabougou. La découverte de quelques pépites d’or avait transformé cet endroit pourtant enclavé en un EL DORADO. Les ¾ de l’effectif des élèves de l’école ont rejoint les « DIOURA », volontairement ou bien parce que les parents l’exigent, car les enfants pouvant leur rapporter par jour 5 à 9000F CFA. Sur les vingt admis de cette année en 6e , 2016/2017, seuls cinq poursuivent leurs études à Kidira. Les quinze autres sont dans les « trous » à la recherche de cet or qui affole.

 

Maintenant, sur le plan de l’environnement et de l’éducation, c’est la désolation. Imagine un peu, d’humbles populations estimées à moins de 2000 habitants qui se retrouvent subitement envahies par des « étrangers » parlant autrement qu’elles, se comportant comme des maîtres chez elles, devenant corvéables à n’importe quel moment de la journée et même de la nuit. L’agriculture est devenue un souvenir dans ces endroits car les orpailleurs ayant creusé tous les champs, il n’y a plus de cultures. Les malheureux paysans, entre obligation et tentation, plongent la tête en avant dans les « DIOURA », emportant avec eux toute leur famille : femmes et enfants.

 

-N’est-ce pas bien, le fait qu’ils aient de l’argent, dit Diambéré ? Cela va changer leur vie !

 

-L’on n’a pas besoin de changements aussi rapides ni de transformations pareilles. A Samba Yaye, à Tomboromadji comme à Djibéba et à Koba Sansankhoto, les terres de cultures sont des tombeaux à ciel ouvert ; les écoles perdent leurs élèves au profit des sites d’orpaillage. Parents, élèves et même parfois enseignants et agents chargés de la sécurité des lieux se mettent aussi à la danse ! Au rythme des prospections, bientôt tout l’Arrondissement de Kéniéba ne sera plus qu’un grand trou béant où l’exploitation de l’or se fera anarchiquement. La ruée vers l’or, comme dans les films Cow-boys, installe la pauvreté au lieu de la prospérité. La prostitution se fait sans cachette, les bars dits clandestins naissent à chaque coin de rue. Un habitat d’un genre particulier couvre les villages : ce sont des huttes en paille protégées par de la matière plastique.

 

-Mon homme, je ne te comprends pas. La finalité n’est-elle pas d’avoir les poches pleines d’argent ? L’or peut le permettre. Alors ?

 

-Tu as effectivement compris que tu ne comprends pas Diambéré Khoumba! Le développement, ce ne sont pas ces pépites d’or qu’on transforme en billets de banque qui développent un pays mais une éducation solide à partir d’écoles tenues et entretenues par des enseignants engagés, conscients que l’avenir de notre Sénégal repose sur leurs épaules frêles ou solides.

 

Or noir et Or jaune installent la suspicion entre les politiques de notre pays qui se tiraillent au lieu de se mettre autour d’une table et discuter. Il est temps de s’entendre avant qu’il ne soit trop tard !

 

Léguons à nos enfants, nos héritiers, les futurs dirigeants de ce pays, une terre sénégalaise entière, exploitée légalement par des nationaux au profit de toutes les populations sénégalaises.

 

Idrissa Diarra

 

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