
Le soleil ne s’est pas encore couché mais la lumière du jour diminue. Les troupeaux de moutons, de chèvres et de vaches regagnent les lieux où ils passent d’ordinaire la nuit. Des paysans, lourdement chargés en provenance des champs, s’arrêtent un moment à Goundeyni pour prendre un bain rapide avant de regagner leur demeure.
Les bruits du jour ont presque disparu : seuls au loin, un âne brait, un chat miaule à côté de la cuisine et un chien, ayant peut-être senti la présence d’un malfaiteur, aboie lugubrement dispersant les coqs qui tardent à se mettre dans les poulaillers !
Mocirédin est furieux. Pas fou. Mais furieux quand même ! Malgré les ombres de la nuit qui s’installent petit à petit, une lueur blafarde, persistante, devenant de plus en plus claire, attire vers l’Ouest l’attention des hommes.
<<-C’est sûr que c’est un feu de brousse, réagit Mocirédin !
-Tous ces jours-ci, à cette heure, des volontaires (heureusement), en grand nombre, vont à l’orée du bois, avec des seaux, des branchages, pour éteindre les feux allumés par des imprudents : fumeurs de cigarettes, chasseurs, piégeurs de rats-palmistes ou d’autres petits gibiers, ajoute Diambéré Khoumba. >>
Il fait maintenant sombre dans la capitale du Gadiaga. Bizarrement, les rues de la vieille ville se souviennent de FAIDHERBE et se rappellent en même temps, les danses, pieds nus, martelant le sol sur un rythme endiablé distillé par le tambour d’aisselle satanique de Khambo Diaré, le génie des tamas, les soirs de clair de lune.
Les étoiles, ce soir, ne sont pas de la fête, elles ont raté le rendez-vous de la clarté nocturne, des jeux folâtres sur les grandes places du village ! L’hyène est certainement passée par-là pour les << manger >>, comme les filles de chez nous le chantent, avec leurs belles voix, dans leurs chansons langoureuses.
Le ciel gardera son teint noir, encore quelques jours, le temps qu’un autre animal moins gourmand ne prenne la relève.
Après la mosquée, Mocirédin s’assoit sur sa natte de prière, avec beaucoup de nervosité, avec tant de fébrilité que la sueur commence à perler sur son visage. Il ne veut parler à personne et préfère ne pas être abordé. Sa triste mine inquiète plus que ne rassure.
Diambéré Khoumba, son épouse, va et vient dans l’étroite cour de la maison en usant de tous les subterfuges pour attirer l’attention de son mari. Lasse d’être ignorée, elle lui tend une tasse de thé.
Ce dernier sirote la boisson et se sent mieux éclairé, plus apte à partager, à s’engager dans une discussion.
<<-Diambéré, la Khoumba de mon cœur, qu’as-tu préparé pour le repas de ce soir, demande Mocirédin avec un rire narquois ?
-Mais ! depuis quand t’intéresses-tu au menu, mon homme ? Même pour celui qui n’a jamais traversé le fleuve Sénégal pour visiter Gouraye, il sait que le dîner est servi après la dernière prière ! Comme d’habitude, c’est le traditionnel << FOUTO NDO DERE >> de chez nous que tu mangeras encore. Dis-moi plutôt ce qui te tracasse !
-Khoumba, moi, je ne sais rien faire d’autre que cultiver, cultiver, cultiver encore et toujours cultiver ! Dans ma pauvre vie, je n’ai appris que ça ! Rien que ça ! Et ça seulement !
Dans la brousse, aux quatre points cardinaux, il n’y a que des feux de brousse maintenant. Ces feux appelés précoces ont cependant des avantages, car encadrés par les collectivités avec l’appui du service des Eaux et Forêts pour éviter les débordements :
· Ils protègent les abords des villages et les cultures en orientant les feux.
· Ils évitent les grands incendies destructeurs
· Ils sauvegardent notre environnement.
L’autre jour, monsieur Ibrahima Ndiaye Agent des Eaux et Forêts me disait qu’il y a l’arrêté n° 07/CDB/PD portant autorisation de mise à feux précoces dans le Département de Bakel signé par le Président du Conseil Départemental qui couvre la période du 10 Octobre au 30 Novembre 2017. Il a ajouté qu’à partir du 1er Décembre, ces feux de brousse seront considérés comme feux tardifs ou sauvages et vont être sanctionnés de 1 à 6 mois d’emprisonnement ferme, selon la superficie brûlée mais aussi en tenant compte de l’ampleur des dégâts (article L.48).
Cette année, en prenant comme seul exemple, l’Arrondissement de Moudéry, à la date du 31 Octobre, 10 cas de feux précoces ont été signalés, dévastant 602 hectares. Dans cet Arrondissement, la Commune de Gabou est plus exposée aux feux que celle de Ballou dont les villages, en majorité, longent le fleuve Sénégal ou la Falémé.
-Mocirédin, il faut donc, qu’en plus des moyens à mettre au service des Agents des Eaux et Forêts (citernes, seaux, arrosoirs, râteaux, carburant en quantité suffisante…), beaucoup de sensibilisation auprès des populations afin qu’elles prennent conscience des dangers qui les guettent (elles et des millions d’innocents).
-Diambéré Khoumba, il faut aussi prier pour sauver la TERRE !
Idrissa Diarra