
Les coqs ont pourtant chanté depuis longtemps mais le soleil tarde encore à se lever. Il ne fait cependant pas sombre, ce qui permet à Diambéré Khoumba de vaquer à ses occupations ménagères. Ses va- et- vient incessants dérangent son époux Mocirédin qui se tourne et retourne sur la natte placée sous le << Nîmes >>, le seul arbre de la maison. Par des gestes qui dénotent son énervement, le mari de Diambéré finit par plier son lit et maugréer en sortant de chez lui.
<<-On ne peut même pas se reposer chez soi avec ces femmes ! Nous les prenons auprès de leurs parents en allégeant leurs charges ; nous les nourrissons et elles ne peuvent même pas nous laisser respirer ! Où est leur utilité, monologue Mocirédin?
-Tu n’es jamais satisfait, lui dit Abdou Salam, son ami handicapé visuel. Que t’a encore fait Mma Diambéré pour que tu pestes ce matin de bonne heure ? Attention, une femme, c’est un trésor !
-Qu’est-ce que tu en sais Salam ? Les femmes sont des sacs à problèmes. Des sacs sans fonds. Donc qui ne seront jamais pleins pour notre malheur, nous, pauvres hommes ! Qu’a-t-on bien pu faire de mal au BON DIEU pour qu’IL nous punisse ainsi?
-Mocirédin, qui est Aissé Moussa ?
-C’est ma mère, la bonne dame !
-Tu la vénères tellement que, longtemps après sa mort et pour mieux garder son souvenir, ta fille aînée Mmatokhora porte son nom. Par respect pour sa mémoire tu n’appelles ta fille que par << homonyme de ma mère >> pour ne pas prononcer son nom si précieux pour toi ! Que veux-tu encore ?
-Salam, c’est que les femmes, en grandes usurpatrices, se sont emparées de la journée du 08 Mars pour en faire leur propriété, mondialement acceptée. Deux mois après, elles décrètent encore UNE QUINZAINE DE LA FEMME ! Est-ce qu’elles comptent les jours d’une année ? Une année n’en a que 365 !
-Elles le savent mieux que toi, Mocirédin. N’oublie pas que parmi elles, tu trouves des présidentes, des ménagères comme Mma Diambéré, des sages-femmes, des enseignantes, de grandes sportives, des musiciennes…..
-Et alors ? Chez nous les hommes, ne rencontres-tu pas tout cela ? Avons-nous une seule heure qui nous est dédiée ?
-La journée Internationale des Droits de l’Homme, qu’en fais-tu ?
- Salam, cette journée appartient à l’Homme avec grand << H >>, donc autant la femme que l’homme !
-Mocirédin, depuis la nuit des temps, l’homme et la femme ont vécu ensemble. Ensemble, ils chemineront jusqu’à la fin du monde. C’est grâce à la femme (ta mère) que tu es né ; une femme est sœur, fille, nièce…..
-Nous les hommes, nous sommes aussi père, fils, neveu….
- Tout cela est vrai, mon grand, mais pense au rôle que joue la femme dans la vie de l’enfant (futur homme) : son éducation…..
-Salam, ce sont tes yeux qui ne voient pas mais tes idées sont claires comme l’eau de roche ! Nous les hommes ne pourrons jamais << payer >> les femmes, à travers elles, nos mères d’abord, nos épouses, sœurs, filles, nièces. Qu’elles soient ménagères, enseignantes, infirmières, bonnes, militaires, marchandes de poisson sec ….nous les hommes, leur disons merci pour nous avoir donné la vie, éduqué, entretenu….
-Mais, Mocirédin tu sanglotes ou je me trompe ?
-Oui, quelques larmes m’ont échappé. Tu m’as vraiment secoué avec ta leçon de morale. Tu m’as, par la même occasion, rappelé un grand homme du quartier Montagne Centrale, El Hadj Abasse Koité ! Salam, les 365 jours ne me suffiront pas pour remercier les femmes. Je vais dire à Bambo, l’enfant chéri de la vieille Moussou de chanter << YAKHARE >>.
-Je la chante bien aussi, la femme, Mocirédin, n’oublie pas que mon handicap ne concerne ni ma voix qui me permet de chanter, ni mes mains de battre le tam-tam. Ecoute un peu ce que je t’ai préparé :
Femme, tu es Africaine et Noire, cela me réconforte.
Ta peau, sous le soleil, luit et repousse sous les portes
Les ombres malveillantes des esprits malsains .
L’éclat de ton sourire radieux illumine, bienfaisant
Toute la planète-terre pour le bonheur de tous les êtres.
Femme, Africaine, Noire, belle sans chercher à paraître
Ta beauté réconcilie les plus rêveurs aux éternels concrets.
Sans toi, Yakharé, femme Soninké, le monde serait incomplet :
De la mare poissonneuse de Lothiandé à la case qui te sert de cuisine,
Au-dessus de tes montagnes arides, avec sur ta tête une bassine
Le pilon résonnant dans le mortier ou le balai qui crisse dans la cour
Sur les chemins pierreux où les enfants en sueur courent
C’est encore et toujours toi qui réveilles les coqs du village
Pour enfin endormir ton bébé, tard, avant le dernier ménage.
-Salam, qui t’a enseigné cette belle chanson ?
-C’est ma tante Mama Seyna. Une grande griotte. Cette race de communicatrice, de cantatrice, de connaisseur d’arbres généalogiques de rois, de contemporains ou même de bakélois lambda n’existe plus de nos jours.
-Dans tous les cas, tu m’as été d’un apport moral extraordinaire. Ce soir, je demanderai à Diambéré de nous préparer un bon << Déré >>, ensuite Mmatokhora nous fera aussi sa spécialité : le thé !>>
Sans canne, Abdou Salam quitte Mocirédin, marchant avec assurance du quartier Montagne Centrale à la Mairie où il passe une bonne partie de son temps avant la prière de 14 heures.
Idrissa Diarra