
Il fait à peine midi, ce samedi 27 Mai, premier jour du mois de Ramadan. Les rues sont désertes. Un calme inexplicable s’est abattu sur la ville, créant une atmosphère d’inquiétude. Les musulmans du monde, pour une fois se sont compris : il n’y a qu’un ciel, un seul DIEU ! Pourquoi alors se disperser, diviser leurs forces ? Unis, les peuples sont plus forts ! En Arabie Saoudite, au Pakistan, en France, au Mali, au Sénégal ……presque partout, c’est le début du mois de Ramadan !
Même les enfants, d’ordinaire si bruyants, courant par-ci derrière un ballon ou dansant par-là le << Ndougoudemba >>, sentent le changement apporté par ce nouveau mois, tout béni.
Mocirédin se prélasse à l’ombre du << Nîmes >>, le seul arbre de la maison. Il ne parvient pas à fermer les yeux malgré toute son envie de dormir. Une chaleur moite le fait transpirer à grosses gouttes. A l’aide de la manche droite de son grand-boubou rapiécé, il se nettoie plusieurs fois le visage et se demande est-ce bien << son >> Bakel Saré Demba où il est né, Bakel où il a grandi, Bakel où il a épousé sa douce Diambéré Khoumba, Bakel de ses ancêtres, Bakel….., Bakel…….. ?
Furtivement, il se lève et ne sait pas ce qu’il doit faire ! Il cherche ses vieilles babouches qui ont pourtant eu de beaux jours derrière elles. C’était un don de son ami Ndirissa Sidi en 1998 lors de son premier << retour >> au bercail. Il ne les retrouve pas. L’espace d’une seconde, il a pensé renoncer à sortir et à braver, en digne musulman, cette chaleur que SOUBHANAH WA TAALA a partagée soigneusement sur les cinq continents ? Il trébuche sur une bouilloire et a failli tomber. Il se ressaisit en s’appuyant avec difficulté sur l’épaule de Diambéré Khoumba son épouse qui a senti son homme chanceler.
<<-Mocirédin, si tu sens que tu ne peux pas tenir, dès maintenant, arrête le jeûne et tu << payeras >> quand tu iras mieux, c’est ce que recommande la religion, lui souffle Khoumba.
-Ce ne sont pas ces vertiges qui vont m’empêcher de jeûner ! Je suis un roc, un inusable ! Je jeûnerai tout le mois répond Mocirédin.
-Tu te considères toujours comme un jeune homme, lui dit Moro Keita arrivé à Bakel depuis seulement trois jours ! L’époque de << Bakéloise >>, de << Monaco >>, de << Dallas >> ou de << FCB >>, ces équipes de football de ton temps , est terminée. Elle est loin derrière nous mais nous ramène à l’esprit les images de nos camarades disparus : Guidé Diallo, Souleymane Jules Ndiaye, Dalla Ndiaye, Coly Cissokho, Abou Hanne, Badara Bâ, Yougoukhassé Konaté………….Que le BON DIEU les accueille dans son Paradis. Amen !
-Que viens-tu chercher chez nous, toi le Dakarois , lui lance en riant Mocirédin?
-Tu vieillis, mon ami. Oublies-tu que je suis autant que toi, Bakélois ! Qu’autant que toi, j’ai le droit de revendiquer ma <<bakélité >> ? Je peux donc quand je veux me ressourcer, revenir ici, vivre sur mes collines, toucher l’eau du fleuve Sénégal, visiter les Tours historiques, le Fort Faidherbe, participer aux parties de pêche des mares de Lothiandé ou de Maani et revoir mes amis comme toi. Diambéré Khoumba, va vaquer à tes multiples occupations et laisse-nous entre hommes.
-Tu es vraiment audacieux, Moro ! Tu viens chez moi et tu donnes des ordres à mon épouse. Pour qui te prends-tu ?
-Pas comme DIEU, mais plus qu’un chef auprès de << notre >> Diambéré. Je commande et décommande à ma guise ! Que t’arrive-t-il ? Maintenant que nous sommes seuls, parle.
-Moro, pour te dire la vérité, mon problème pendant le mois de Ramadan, c’est l’eau. A partir de 15 heures, je commence à voir des étoiles en plein jour ! A Bakel, le soleil est généreux. Il ne cache aucun de ses rayons. Au contraire, il les autorise à << se >> darder. Sans pitié, ces derniers envoient sur notre département des degrés frisant les 45 à l’ombre. Tu le sais en matière de climat, on s’y habitue difficilement. Sinon, pourquoi les Européens fuiraient-ils l’hiver et << sa >> glace que nous cherchons comme de l’or durant ce mois béni pour venir se << réchauffer >> chez nous, se bronzer ?
- Mocirédin, tu es un poltron ! Allons rendre visite à Kader Tandia. Lève-toi. Diambéré, << tes >> hommes sortent pour << tuer >> le temps. Prépare un bon repas pour la rupture à 19 heures 20 minutes.
-Vos désirs sont des ordres, << mes >> maris ! Je vous attends avec impatience.
-Je ne regrette vraiment pas de t’avoir épousée, ma Diambéré ! Je suis fier de mon choix, grommèle Mocirédin comme s’il avait honte d’être entendu par son ami Moro.
-Sois heureux, fier ou tout ce que tu veux, je ne te laisserai pas ici. Allez, lève-toi, direction chez Kader. >>
Les deux hommes sortent de la maison. Diambéré Khoumba les regarde s’éloigner. Elle en veut sans le dire, à Moro qui lui prend son mari mal en point. Un mois, c’est trente jours. C’est long ! Si dès le premier jour Mocirédin a des vertiges, Khoumba a peur pour le reste du mois. Mais DIEU est grand !
Idrissa Diarra