
Mocirédin s’est réveillé du mauvais pied. Ce matin-là, tout semble s’exécuter à l’envers : depuis sa tasse de quinquéliba qui tombe et se brise jusqu’à ce chat noir sorti l’on ne sait d’où pour lui mordre le talon droit en passant par cette chute (rare chez lui) dans les toilettes !
Diambéré Khoumba s’étonne que tous ces «maux » soient au même endroit, au même moment, sur la même personne, son mari, son Mocirédin, l’homme qui l’a choisie parmi toutes les jeunes filles de l’époque. Ha ! Les souvenirs. Cela la rend soucieuse, très nerveuse. Elle promet, le plus rapidement possible, d’aller voir Thierno Wane, le marabout, installé dans le quartier Montagne Centrale, après le décès de Kharamokho Barou Dia, le maître coranique. Elle ira ensuite consulter le féticheur venu du Mali voisin, Bakary Doukhanthy afin de trouver, dans un premier temps d’abord des explications puis suivront les remèdes. Il ne faut rien négliger !
Mocirédin, lui, est assis, silencieux, les rides apparues subitement sur son visage le rendant plus vieux que d’ordinaire.
Diambéré a fait appeler, Kader, l’ami de son mari qui s’est aussitôt déplacé. Il trouve Mocirédin, pensif, tout penaud, la tête posée dans les paumes des mains, les coudes sur les cuisses, comme surpris par une information triste.
« -Que se passe-t-il Ngnigo, s’inquiète Kader, en voyant l’état lamentable de son ami ?
-Des faits inexplicables ! Je n’y comprends rien !
-Tu n’es qu’un poltron ! Ce n’est qu’une suite malencontreuse de faits qui sont malheureusement « tombés » sur toi en même temps. Ils auraient pu arriver, espacés. Et si, à la place, tu recevais une nouvelle t’annonçant que tu dois retirer 100 000F envoyés par ta nièce à la Poste, que Ladji Diabira t’a acheté un vélo, que ton ami Ciré Bocar t’a réservé pour la Tabaski un gros bélier, que... que…que…Alors, allais-tu réagir de la même façon ?
-Ce n’est quand même pas la même chose ! Les réactions vont donc différer. Tu me connais, mon ami. J’ai oublié tout ce qui s’est passé. Ce n’est pas n’importe quoi qui m’ébranle ! Je suis un dur. Cependant, Kader, je suis inquiet pour mon pays.
-Je sais que tu es intelligent, très intelligent mais tu es aussi vraiment prétentieux ! De quoi veux-tu encore parler ?
-Mais des lauréats du Grand Prix du Chef de l’Etat pour l’Enseignant, répond Mocirédin !
-Qu’as-tu à voir mon ami avec le Grand Prix du Chef de l’Etat pour l’Enseignant, toi qui n’as jamais franchi le seuil d’une école française pour y étudier ?
-N’avoir pas été à l’école française ne fait pas de moi, un ignare, une « bête » ! Cela ne m’empêchera pas de réfléchir et de crier surtout haut et fort mon point de vue sur ce qui se déroule dans mon pays. Kader, on parle d’éducation, et l’éducation nous concerne tous.
-Tu as raison, mon bon ami. Pour être écouté, il faut d’abord être entendu. A part moi, personne ne t’écoutera.
-Tu es déjà, à toi seul un bon « public », tu as « fait » les bancs, tu me rectifieras et tu seras ma voix là où tu iras, car tu voyages beaucoup.
Dis-toi, mon frère, qu’un Jury National a été formé. Il est composé de 33 membres dont la présidence est assurée par l’ancien Ministre de l’Education Nationale du temps du Parti Socialiste (PS) avec le Président Abdou Diouf, monsieur André Sonko.
Trois cent quatre-vingt cinq (385) dossiers ont été enregistrés à la base, dans les Inspections de l’Education et de la Formation (IEF). Après analyse, cent dix-sept (117) dossiers ont été sélectionnés puis transmis aux Comités Régionaux qui en ont retenu trente-sept (37). En définitive, trois noms sont sortis du « bonnet magique » : deux professeurs de lettres, messieurs Serigne Khalifa Ababacar Wade du Lycée de Mbao et Assane Ndiaye du Lycée de Mbacké. Pour l’élémentaire un instituteur du nom de monsieur Abdoulaye Mbow du Centre Talibou Dabo de Grand Yoff est le lauréat.
La cérémonie sera rehaussée par la présence du Président de la République, monsieur Macky Sall au Grand Théâtre, ce 28 Décembre. Le Prix est doté d’un montant de 10 millions, d’une médaille et d’un diplôme pour le premier, de 4 millions et d’une attestation pour chacun des deux autres.
-N’est-ce pas excellent pour notre Ecole, ajoute Kader, d’autant plus que ce sont des enseignants « craie en main » qui en sont les bénéficiaires ? Ce n’est pas tout, Mocirédin, le premier participera au Prix Mondial pour L’Enseignant d’un montant de six cent millions (600 000 000). La Palestinienne, madame Hanan Al Houroub la détentrice du Prix Mondial 2016 sera au Grand Théâtre.
-Kader, si on veut revaloriser la fonction enseignante, ce n’est pas dans la capitale qu’on le fera ! Même si c’est bien possible que tous ces lauréats aient servi en « brousse », une discrimination positive était nécessaire pour montrer que les enseignants des profondeurs du pays sont aussi considérés, qu’ils ne sont pas oubliés, que la nation leur est reconnaissante ! Servir loin des grands centres, dans les coins les plus reculés du Sénégal, dans des conditions très difficiles qui frisent parfois le suicide mérite un regard humain. Ces enseignants qui vivent avec les populations ont des qualités humaines. Les bons résultats accumulés chaque année avec leurs élèves prouvent leur passion pour ce noble métier. Dans ces « trous » difficiles à quitter, dans ces endroits dénués de tout, qui manquent d’électricité, d’eau, dans des abris provisoires, passant la nuit dans des cases en banco, nuit et jour avec les populations, s’occupant d’état civil, de soins infirmiers, de sport, ces enseignants ne méritent-ils pas qu’on « s’apitoie » un peu sur leur sort ? Je n’ai rien contre les trois lauréats mais, en tant que natif de ce pays, SUNU GAL, n’ai-je pas le droit de « lancer » mon point de vue ? Qu’il soit écouté, suivi ou rejeté dans les eaux sales de la Falémé, je me serai quand même exprimé, nettoyant par la même occasion tout ce qu’il y a de rancunes, de haines, de jalousies, d’hypocrisie sur mon cœur !
-Tu as parlé de discrimination positive tout à l’heure sans y aller plus profondément, lui dit Kader. Et la place des enseignantes ? De toutes les manières, c’est une compétition. Il faut un gagnant !
-Tu as raison. Ne dit-on pas que choisir, c’est éliminer ! Souhaitons donc bonne chance à nos lauréats et que le meilleur gagne.
Idrissa Diarra