
Mocirédin repasse un film très ancien : sa jeunesse. Que revoit-il ? Ses camarades d’enfance ?
-Pape, le petit-fils de la vieille Hawa Diébakhaté (Moddo ),Bambo l’enfant chéri de Mma Moussou, Touré le fils unique de Mma Dimé, Ndirissa Sidy ,Ablaye Fassé, Boulaye Moumé, Moussa Dialimady le fils de la Diva Fatou Sakho, Haymouth de Néné Racky….Que de souvenirs ! Il n’en pouvait plus ! Ses larmes freinaient la coulée de souvenirs qui l’envahissaient.
Les hommes de toutes les générations croient fermement que leur enfance était le meilleur moment et qu’aucun autre être sur la terre ne vivra mieux qu’eux !
Les regrets hantent les hommes de tous âges. Ils sont bizarres, nostalgiques et à la limite passéistes, les hommes.
Mocirédin appelle autour de lui ses enfants : l’homonyme de son père qu’il surnomme affectueusement Papa et sa fille Moussoukoura pour leur parler de la célébration de la fête de la Tabaski, autrefois.
<< - Autrefois, commence-t-il, les fêtes se préparaient d’une autre manière que celle que nous vivons aujourd’hui. Même s’il y avait des tailleurs, ils n’étaient pas envahis comme maintenant !
La cotonnade était là, fruit du travail dur de nos mères. Depuis la graine de coton, le cotonnier, le coton cueilli et travaillé par leurs mains expertes avant d’arriver chez le tisserand.
Les tisserands ? On n’en voit que rarement dans nos contrées.
Dans les maisons, de gros canaris recevaient l’indigo qui transformait des jours plus tard les bandes de cotonnade en leur donnant un teint noir rutilant bien prisé par les Soninkés.
Pendant ce temps, en vue de ce grand jour, l’Aïd- El- Kébîr, les femmes se mettaient le henné aux pieds et aux mains. Les bijoutiers, à leur tour, rendaient plus dorés les colliers, les bracelets et les boucles d’oreilles présentés par les dames. Devant la bijouterie de Hamady Rindiaw, une longue file de femmes attendaient patiemment celui pour qui l’or n’a aucun secret !
Les jeunes filles aussi se préparaient : chez Bolo Goundo , la grande tresseuse aux doigts habiles , il fallait s’inscrire plusieurs jours avant.
La veille de la grande fête, c’était l’effervescence dans tout Saré Demba. Les classes d’âges s’organisaient. Le soir, tout juste après le dîner, elles se rencontraient, les garçons entre eux et les filles de leur côté.
Toute la nuit durant, les filles en groupes, s’échinaient à remplir les canaris et tous les ustensiles des familles pouvant contenir de l’eau en allant puiser au fleuve.
Comme toutes les époques ; pendant que leurs sœurs travaillaient, les garçons chantaient , dansaient et criaient dans les rues :<< Lewouré léwouré kadio >> ou << Wanthion ga khouri bé limbouré >>, une invite à se joindre à eux pour << blanchir >> la nuit.
Dès six heures du matin, ces mêmes garçons, la tête, bien que pleine de sommeil, étaient tenus de conduire les béliers au fleuve pour les laver avant la perpétuation du geste d’Abraham.
Les filles, quant à elles (les pauvres), balayaient par-ci, nettoyaient par-là, donnaient un coup de mains à maman pour éplucher les patates, découper les oignons, repasser une dernière fois le grand boubou de papa avant d’embaumer toute la maisonnée d’un encens savamment concocté par maman.
Neuf heures : de gais garçons suivaient leur père, serrant sous leur bras des peaux de mouton servant de nattes de prières, tous fiers de leurs tenues de fête.
L’Imam El Hadj Samba Dramé présidait la prière puis immolait son bélier. Une fois à la maison, chaque père de famille exécutait à son tour le geste multiséculaire d’Abraham combien important pour les musulmans.
Quelques instants plus tard, l’arôme de viande grillée se dégageait de toutes les maisons : c’était bien la fête du mouton ! Les hyènes auraient vraiment aimé participer au festin !
Quatorze heures : les classes d’âges (garçons et filles) se retrouvaient dans leur siège avec chacun son repas. Ensemble, ils déjeunaient. La solidarité, le partage existaient.
Les Soninkés aimaient et continuent d’aimer à vivre ensemble, en commun. Il n’est pas rare de voir une famille de plus de trente membres, vivre sous le << même >> toit, partager les mêmes repas (les femmes d’un côté, les hommes d’un autre) respecter les aînés.
L’après-midi était réservé à ce que les enfants ne ratent jamais : la visite auprès des parents et des amis de la famille pour demander des étrennes.
De nos jours, les enfants sont laissés à eux-mêmes, errant dans les rues, tendant la main à chaque passant comme de pauvres hères.
Vingt et une heures :la grande place du village appelée aujourd’hui place Waoundé Ndiaye était animée : Mamakhé pour certains, Khambo Cissokho pour d’autres, le spécialiste du tambour d’aisselle ( tama ou dong-dong ), l’élégant batteur affolait les danseuses par les sons endiablés de son instrument << magique >> .
La fête traversait trois jours durant lesquels les tenues traditionnelles, de la chéchia aux babouches en n’oubliant pas le grand boubou, et le pantalon bouffant, tout s’exprimait, montrait aux étrangers un pan de la culture soninké . Maintenant, le monde est << fini >>. Ah ! Hier ! >>
Son monologue terminé, Mocirédin se leva, tourna le dos aux enfants pour qu’ils ne voient pas ses larmes. Ces derniers ont compris qu’une forte dose d’émotion a ébranlé leur père, l’ami de Ciré Bocar.
Ils se levèrent à leur tour, calmement, pour aller auprès de Khoumba leur mère.
Idrissa Diarra,www.bakelinfo.com