
Ce matin, Diambéré Khoumba est de bonne humeur, contrairement aux autres jours où, par son sérieux habituel, ne se reconnaissent ni ses joies ni ses douleurs. Elle chante en balayant ; elle tape même des mains de temps en temps en revenant du robinet pour verser l’eau << sale >> distribuée ces temps-ci par la SDE dans les canaris; parfois , pour exprimer davantage son bonheur, elle esquisse quelques pas de << worosso >> ou de << lombi >> à côté des marmites.
Mocirédin, d’abord étonné de l’état d’<< ivresse >> de sa dame, commence à se poser des questions, puis se dit tout naturellement que sa douce moitié a dû recevoir une merveilleuse nouvelle qui la transforme ainsi ! Enfin, après de raisonnables réflexions, il se surprend à penser que Diambéré a peut-être aperçu un génie à son réveil. Les mauvais génies transforment parfois des êtres simples en << dangers publics >>, en personnes violentes capables de tuer.
<< - Diambéré, dit-il en s’approchant d’elle, que se passe-t-il ? Toi qui, d’ordinaire calme, passe sans se faire remarquer, toi, la sagesse incarnée, tu déranges toute la maison car il ne fait pas encore jour ! Qu’est-ce qu’il y a ? Dis-le-moi, je t’en prie !
"Mon mari, j’ai fini avec la soumission ! Plus d’autorisations, de permissions, de punitions, de génuflexions, de compassions, de pressions, de compressions, de……….C’est terminé ! Désormais, je vais parler, beaucoup m’exprimer pour sortir du fond de moi tout ce que je gardais jalousement pour moi seule." dit elle.
-Pourquoi, subitement ce changement après toutes ces années de vie commune ? lui répond Mocirédin.
- Je n’ai pas changé. Tu as toujours ta Khoumba devant toi. La jeune fille que tu as prise chez son père, il y a un peu plus de deux décennies . Seulement, le monde change ; les hommes évoluent. Depuis ce matin j’ai cassé ma coquille pour respirer, humer l’air de la liberté <<spirituelle >>, vivre mon temps sans oublier mes racines, ma tradition, mes coutumes, ma culture. Tu me comprendras j’en suis sûre.
Mocirédin ne prononce plus aucun mot. Il s’éloigne de Diambéré pour ne pas faire un malheur. Il se dirige vers le quartier Ndiayega . Sous l’arbre à palabre, il enlève son grand boubou, se couche, plaçant son vêtement sous la tête comme oreiller. Il s’endort. Profondément.
Le bruit des élèves revenant de l’école le réveille de son sommeil si réparateur. Il bâille, s’étire, remet son boubou tout froissé, ne retrouve pas ses vieilles babouches et prononce des mots incompréhensibles. Sous le << tara >>, un enfant lui montre ses chaussures. Il se frotte les yeux, remercie le garçonnet et se rend à la mosquée <<.Mamadou Kébé >> du marché central plus proche.
Mocirédin marche à pas lents, les grains de son chapelet tremblant entre ses doigts. <<ALLAH ! ALLAH ! >> répète-t-il durant son trajet retour. Il n’ose pas entrer chez lui. Il allonge un peu le pas et se retrouve vite devant la maison de la vieille Dado Niéléba. Il s’assoit sur une grosse pierre, le regard fixé dans le vide. Il pense à deux précieux métaux : l’or et l’argent. Il se met alors à rêvasser les yeux bien ouverts. Si le silence est d’or, la parole est d’argent.
Entre l’or et l’argent, il n’y a pas d’hésitation. Le choix de Mocirédin est clair et net : la valeur de l’or est plus élevée que celle de l’autre métal. Mieux vaut se taire que de gâter sa salive dans des paroles puériles. Brusquement, Mocirédin se releve. A grandes enjambées, il << enroule >> rapidement les quelques mètres qui le séparent de sa maison. Devant le seuil de chez lui, ses jambes tremblent. Khoumba est encore là à la maison. Quelle sera sa réaction devant la résolution que j’ai prise de ne plus parler, de me taire qu’importe l’importance de la question ?
Il reprend ses <<ALLAH ! ALLAH ! >> d’une voix plus chevrotante. Il craint vraiment les réactions de son épouse. En jetant des regards à droite et à gauche, il pénètre chez lui en silence, dans un calme si spécial que Khoumba, très surprise bloque le pilon qui devait tomber dans le mortier. Elle le pose parallèlement sur les bords circulaires du mouleur.
<< - A mon tour de t’interroger, Mocirédin , mon mari! As-tu vu Satan ou le diable pour avoir cette mine de terrorisé ? Raconte-moi ce qui se passe !
* ……………………………………………….silence.
-Regarde-moi et parle, parle-moi.
* ……………………………………………….silence.
* Woyi mmayi koyi ! Au secours maman ! Venez tous, mon mari a vu le diable !
En quelques minutes, la maison se remplit de curieux et de badauds venus voir ou écouter.
Mocirédin est toujours là, transpirant sous l’effet de la chaleur mais surtout de la honte de se sentir la risée de tout le quartier, de tout Saré Demba et bientôt de tout le pays. Il ne veut et ne doit parler ! Il ne parlera pas ! Quoi qu’il arrive. Qu’on le considère comme muet ou subitement devenu fou, que sa maison ressemble à un marché, il n’ouvrira pas la bouche. Il préfère l’or à l’argent. Puisque l’argent, c’est la parole, je garde le silence, c’est-à-dire l’or pense-t-il. Ne dit-on pas que le silence est d’or et la parole d’argent ?
<<- Ndeysane ! Le pauvre Mocirédin. Peut-être que c’est un génie qu’il a rencontré en plein jour ! Qui sait ? murmure-t-on.
-(Intérieurement, sans desserrer ni les dents ni les lèvres)Mocirédin pense : je suis l’arroseur arrosé. Alors que je plaignais Khoumba d’être devenue folle, c’est moi qui suis, aux yeux de tous, celui qui a perdu la tête ! Le monde est vraiment bizarre ! De toutes les manières, je préfère de loin le calme, le silence de notre maison au bruit causé par mon silence !
Mocirédin se retient. Il transpire de plus en plus. De plus en plus la maison se remplit. Il n’en peut plus. Je vais éclater, pense-t-il.
<< -Sortez tous de chez moi, je me porte comme un charme ! Allez, vite. Je ne veux voir personne ici. Mon épouse et moi n’avons rien. Laissez-nous en paix !>>
Il pousse la foule de curieux vers la sortie et rejoint sa Diambéré toute tremblante.
<<-Khoumba, si le silence est important car valant de l’or, la parole aussi a son importance ! Si l’on s’était parlé ouvertement, sans demi-mots, j’aurai compris ce que tu désirais et je ne me serais pas comporté comme un demeuré et tout ce monde ne serait pas venu nous enquiquiner ! La morale de notre << aventure >> : même si le silence vaut de l’or, dans un couple, il faut le rompre, pour dissiper toutes les zones d’ombre ! Diambéré Khoumba, je ne te demande pas de changer radicalement mais ne te transforme pas comme tu l’as fait ce matin !>>
Les deux genoux à terre, Diambéré se courbe devant son époux et de sa voix, la plus douce, elle dit :
<<-Mocirédin, je ne connais que toi, rien que toi. Tu le sais aussi, je n’aime que le père de mes enfants, toi mon époux. Tes désirs sont des ordres.
-Lève-toi, Khoumba. Personne ne nous entendra plus d’ici ma mort. Trop parler, c’est se découvrir, il est vrai, mais nous communiquerons toujours pour ne plus avoir de nuages au-dessus de nos têtes. Viens dans mes bras. >>
Idrissa Diarra, www.bakelinfo.com