
Jour après jour, Mocirédin ressemble, de plus en plus, à une plante qui s’assèche. Ce n’est pas par manque d’eau comme avec les arbres, mais l’homme maigrit à vue d’œil.
Diambéré Khoumba ne sait plus à quel saint se vouer pour ramener la bonne humeur chez son mari ! Elle a beau se dandiner comme une cane en faisant tinter les perles qui ornent ses hanches ou à cuisiner les plats les plus savoureux, rien ne transforme le père de ses enfants.
Alors, elle prie. Elle ne désire qu’une chose : que son homme retrouve sa joie de vivre !
Dans la petite cour de la maison, Diambéré imagine mille et une manières de se faire remarquer.
Elle a balayé, couvrant son mari de poussière pour avoir sa réaction ; elle a laissé tomber, exprès, des ustensiles de cuisine afin de le réveiller de son « sommeil » ; elle a toussé, vomi et même feint l’évanouissement ! Mocirédin est resté de marbre.
Il déplace sa natte de prière, y dépose son bonnet puis son chapelet avec un calme hors du commun. Il s’assoit sur un banc. Il desserre enfin les dents : << ALLAHOU AKBAR !>> ne cesse-t-il de répéter.
Ses ablutions terminées, Mocirédin se lève cette fois-ci en jetant un regard (même s’il est furtif) sur son épouse complètement « désorientée ».
Mocirédin replace son bonnet sur la tête, récupère son chapelet, plie la natte de prière et sort sans regarder derrière lui.
Il ne fait que 18 heures 40 minutes. La petite mosquée de la Montagne Centrale est encore vide. La prière du « Maghrib » est prévue actuellement à 19 heures 5 minutes. Mentalement, il calcule sa marge horaire et trouve facilement le résultat : 25 minutes.
<<-J’ai encore le temps, se dit-il !>>
Mocirédin ne veut pas s’asseoir avant l’arrivée de l’Imam. Debout sous le fromager, il égrène son chapelet. Aucun son ne s’entend, mais ses lèvres bougent. Bassirou Mamadou Bougou, le muezzin, arrive à son tour et appelle les fidèles pour l’avant-dernière prière du jour.
Mocirédin s’est bien préparé. Il ne rejoindra chez lui qu’après la « ISHA », la dernière prière. Il se mettra dans un coin de la petite mosquée pour implorer le bon DIEU. Il veut rentrer tard. Communiquer avec les hommes n’entre pas dans ses plans ! Son souci, le seul qui le ronge, c’est sa rencontre avec Diambéré Khoumba, son épouse.
C’est à pas lents, feutrés, que Mocirédin est entré chez lui, comme un voleur. Assise dans sa cuisine, Diambéré aperçoit son homme qui essaie de se cacher sous un turban.
<<-Est-ce que je te sers le dîner tout de suite, ou préfères-tu attendre plus tard ?
-Je n’ai pas faim.
-Tu ne peux quand même pas rester toute une journée sans rien te mettre sous la dent ! Après tout, nous ne sommes pas encore dans le mois béni du Ramadan ! Il faut goûter un peu au moins à ma cuisine!
-Diambéré, je t’ai dit que je n’ai pas faim, que veux-tu d’autre ?
-Que tu manges puis me dises ce qui te tracasse. N’oublie pas que je suis ton épouse depuis des décennies et que je te connais assez pour savoir que tu n’es pas dans ton « assiette ».
-Diambéré Khoumba, ha ! Si, si seulement j’avais été à l’école, je n’aurais jamais choisi l’ENSEIGNEMENT.
-Mocirédin, je n’arrive plus à te suivre ! Aujourd’hui, ton rêve est d’être INSTITUTEUR, demain, tu changes complètement, tu vilipendes ceux que tu avais élevés au rang de Sauveurs de l’humanité. Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Tu m’as bien compris Diambéré Khoumba et tu sais que si j’étais né dans un autre monde, le seul choix pour lequel j’aurais opté : ENSEIGNER. Pas n’importe quel enseignant. INSTITUTEUR, le professeur de toutes les disciplines. Celui qui enseigne le dessin, la lecture, le sport, l’histoire, les mathématiques, la morale, le chant, l’éducation civique, le travail manuel, le langage…..
-Pourquoi donc cette mine et surtout ce mutisme ? Que caches-tu à « ta Khoumba» ?
-Je suis déçu. Déçu à tel point que les mots me manquent pour m’exprimer et expliquer mon désarroi devant la perfidie des hommes d’aujourd’hui. Vois la situation actuelle de « notre » école ! Elle est désolante. A qui la faute ? Etat et Enseignants se jettent la balle. Qui a tort ? Qui a raison ? A ce stade du mal, moi j’indexe tous les deux ! Cependant, j’estime que les Enseignants, bien que plus proches de la VERITE, ne doivent pas jouer aux « JUSQU’AU-BOUTISTE », c’est-à-dire à TOUT ou RIEN. L’Etat, c’est la continuité. Des accords signés, il y a trente ans sont des accords. Ils engagent autant les premiers signataires que les nouveaux. Reconnaissons que l’œil ne porte pas les fardeaux, mais il sait évaluer les poids. Les Enseignants peuvent, en tant que grands intellectuels, jauger les capacités de l’Etat.
-Justement, Mocirédin, mon cousin Salif, l’autre jour me disait que les Enseignants sont scandalisés par le nombre d’institutions budgétivores à souhait qui peuvent ne pas exister. Sans compter l’incroyable nombre des députés, des ministres pour un pays en voie de développement.
-Que faut-il alors ma chère épouse ? Moi, Mocirédin, je propose que les Enseignants acceptent les 85 000 F(15 000 F à partir de Janvier 2018 et le complément, c’est-à-dire les 10 000 F dès Octobre 2018),tout en exigeant que l’Etat prenne l’engagement de faire disparaître toutes ces institutions qui asphyxient notre développement dès après les
élections de Février 2019. C’est un clin d’œil à tous les candidats à l’Election Présidentielle de 2019 !
-Je ne gère que la dépense de la maison de Mocirédincounda, mais je pense, sans être ECONOMISTE, que cela fera une bonne bouffée d’OXYGENE pour notre pays !
-Rêvons les yeux bien ouverts, ma chère épouse et espérons que le pétrole et le gaz si proches, si loin viennent s’ajouter à l’économie réalisée sur la « mort » de ces institutions tant décriées.
Idrissa Diarra, bakelinfo.com