
Nous ne sommes qu’au tout début de la dernière décade du mois de Février et pourtant le thermomètre affiche déjà des degrés qui irritent les populations du Gadiaga et du Boundou. Le soleil et l’harmattan font subir aux êtres (les hommes, les animaux et les plantes) des nuisances énormes. Ils suffoquent mais stoïques ils digèrent la douleur.
Mocirédin transpire fortement : la sueur perle sur son visage. Il l’essuie avec la manche de son grand boubou. Désespérément, il cherche un éventail pour atténuer la rigueur du climat et s’attirer un peu de fraîcheur. Il pense à son épouse Diambéré Khoumba et se surprend bizarrement à avoir pitié d’elle. La pauvre dame vit pratiquement dans la cuisine aux murs noircis par la fumée, du matin au soir. La chaleur dégagée par le feu de bois ajoutée à la fumée blanche qui devient noire au contact des objets alourdit l’atmosphère de cette petite pièce, domaine de Khoumba.
Mocirédin souffre et comme tous les habitants de la cité, il vit son mal sans se découvrir.
<<- Les gens sont vraiment courageux ! Durant des mois, ils bravent la rigueur du climat (impossible ???), matin et soir, nuit et jour, ils ne se plaignent pas. Pourquoi le faire ? N’est-ce pas DIEU qui nous a créés, et nous a placés sur cette partie du monde selon sa volonté ? Peut –on s’opposer à ce qu’IL veut ? En Europe, il y a des hivers durs et pourtant, les gens y vivent ! Ne parlons pas des pôles où la neige est présente durant presque toute l’année ! Disons plutôt AL HAMDOULILLAH ! Cette chaleur, ce climat rugueux et rigoureux ne nous apeurent plus. Nous sommes nés ici ; nous avons grandi ici. Même si l’accoutumance au milieu est difficile, nous ne nous plaignons pas. C’est la vie ! Notre séjour sur cette terre est écrit avant notre naissance : nos aïeux l’ont dit à nos parents qui nous ont transmis ces habitudes. Nous les transmettrons à notre tour à nos enfants. De toutes les manières, qu’y pouvons-nous ? Contre mauvaise fortune, bon cœur ! >>
Mocirédin aperçoit Diambéré Khoumba. Elle n’est pas pressée la grande dame ! Dans son habituelle démarche de cane repue, elle se dandine, nonchalamment, sourire aux lèvres. Ses déhanchements provocateurs domptent le regard de son époux qui la fixe sans scrupule. Le climat s’est subitement adouci pour Mocirédin face à cette charmante créature ! Le temps s’est arrêté. Il a suspendu son vol, comme dirait le poète !
<<- Je vais chez ton oncle Kaba, rendre visite à ta cousine Khoudiédji Diarra. Depuis son arrivée, je n’ai pas été la voir.
-Dis-lui que j’attends qu’il fasse moins chaud pour aller la saluer !
-Vous m’étonnez, vous les hommes ! << Moins chaud >>, tu as dit ! La chaleur extérieure nous concerne tous. Celle des cuisines n’est ressentie que par nous les femmes ! Bien que la température atteigne plus de 45 degrés à l’ombre dans ces pièces réservées exclusivement aux femmes, vous ne nous entendrez jamais gémir, nous les dames. Sous le soleil, dans les champs, au bord du fleuve, avec un fagot de bois ou un seau d’eau sur la tête, un enfant sur le dos, en train de piler le mil dans un mortier ou même pour puiser l’eau du puits, nous ne pensons pas à la chaleur. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela changerait ? Deviendrions-nous des hommes et les hommes des femmes ? Non ! Donc autant supporter les aléas du climat et ne pas montrer nos états d’âme. Mon mari, tu me retardes ! Laisse-moi partir !
-Je ne t’ai pas retenue, Diambéré. Tu deviens trop bavarde maintenant, que se passe-t-il ?
-Je te répondrai ce soir quand la nuit couvrira tout le village et drapera de sa couleur d’ébène notre chambre !>>
Après le départ de son épouse, Mocirédin se rend compte qu’il continue à s’essuyer le front. << Son climatiseur>> s’est-il éloigné de lui pour que le climat change ainsi ?
En fin de compte, tout est question d’esprit, de mental ! Des fonctionnaires sont arrivés ici à Bakel, maudissant Satan d’avoir été à l’origine de leur affection dans cette chaudière. Au bout de quelques mois seulement, ils << s’acclimatent >> et ne pensent plus à rien d’autre qu’à Saré Demba. Ils s’y marient, gravissent tous les échelons de l’administration et n’ont qu’un seul et unique rêve : finir leur carrière dans la ville où René Caillé a séjourné avant de se rendre à Tombouctou, dans cette cité où le Fort Faidherbe, les Tours, les mares, la vieille école Régionale de 1902, actuelle Ibrahima Malal Diaman Bathily (IMDB) font d’elle une cité historique d’abord ensuite touristique.
Nos parents Soninkés sont en Europe. Sous la neige, en hiver, ils travaillent. Ils savent que le monde est ainsi fait : le froid et la chaleur, le jour et la nuit. L’homme ne peut pas tout avoir ! Qu’il se contente de ce que le BON DIEU lui donne.
<<-Facile, très facile même, penseront certains, mais justement que serait le monde sans cette opposition ? En tout cas, le mois de Ramadan se situe entre le 27 Mai et le 26 Juin. Que ceux qui n’ont le mental solide s’exilent sous des cieux plus cléments, vers des natures moins hostiles. Bakel est Bakel et restera Bakel, pour toujours comme nous l’aimons ! >>
Idrissa Diarra, www.bakelinfo.com