
Mocirédin n’a pas dormi de la nuit. Ses yeux sont tout rouges .Son voisin des bons et des mauvais jours, son compagnon de tous les jours, l’a << abandonné>> ; il s’est éteint au beau milieu de la nuit. Sans crier gare, il s’en est allé.
La nuit a été noire, installant des idées bizarrement claires dans la tête de Mocirédin, l’ ami de feu Moukhoutari. Des éclairs ont traversé son esprit durant toute cette nuit.
Il ne veut pas prononcer le mot, le fameux concept mal de tous les maux des hommes. A chaque fois, il se dit :
<< - Mon ami n’est plus ; il est parti ; il ne reviendra plus jamais. Qu’est-il donc devenu ? Où s’en est-il allé ? Comment va-t-il être ? >>
Mocirédin se répète les mêmes phrases, les grains de son chapelet s’entrechoquant, émettant des cris de souris.
Diambéré, la Khoumba de son cœur le salue par une génuflexion en murmurant quelques mots inaudibles. L’essentiel n’est –il pas que son homme sente le respect qu’elle lui voue ?
A côté de son mari, elle pose une calebasse pleine de bouillie de maïs de la saison.
Mocirédin retient avec difficulté ses larmes. Il finit par dire :
<<-Ina lilahi wa inna i leyhi radji houna !Nous venons de DIEU, à lui nous retournerons ! Hé ALLAH, aie pitié de mon ami Moukhoutari.>>
La maison commence à se remplir. De partout les gens déferlent vers la même direction. Tout le monde connaît les relations franches, fraternelles et même religieuses qui existaient entre ces deux hommes.
- Mes condoléances !
- Mes condoléances !
- Mes condoléances !
Ces mots bourdonnaient dans ses oreilles et, à la limite, le tympanisaient. La réalité est là. Son Moukhoutari est vraiment mort !
Alors, Mocirédin devient pâle. Il n’a dépassé les quarante ans que le mois dernier ! Normalement, il doit lui rester au moins le temps qu’il a vécu ! Au moins ce temps ! Et tout le monde sait que le bon DIEU dans sa miséricorde peut lui accorder beaucoup plus encore ! Il se rappelle ses aïeux : Batou, Bougou,Nthiangué, Diadié ,tous ont vécu plus de quatre-vingt dix ans ! Pourquoi pas lui ? Il y a donc de bonnes raisons de vivre autant sinon plus qu’eux !
Ha la mort !<<kallé>> en Soninké, <<saaya>> en Bambara, << maydé >> en Poular ,<<déh>> en Wolof. Quels mots creux pour exprimer un adieu, un départ définitif, une absence non désirée.
Mocirédin était calme. Seuls sortaient de sa bouche : << koulou nafsi, dia i khatil mawti : chaque être vivant, un jour mourra. Euskèye ! >>
Il faut se lever. Obligatoirement ! Moralement pour aller préparer son ami : c’est l’ultime séparation. À la morgue où était couché Moukhoutari, Mocirédin le rejoint comme au bon vieux temps. Cette fois-ci, avec d’autres hommes du village, ils lui font sa dernière toilette et le parfument avant de le placer dans un linceul.
Les haut-parleurs de la mosquée répandent dans les quartiers, des versets du saint Coran. La levée du corps est prévue à 10 heures . De partout, des hommes d’un âge mûr, mais de plus en plus de jeunes accompagnent les morts vers leur dernière demeure.
Depuis l’aube, Léminé, comme à son habitude et son équipe de jeunes dynamiques ont pris les mesures du défunt pour préparer sa tombe. Au cimetière, on écoute cérémonieusement, sagement les paroles du marabout.
-Amen ! Amen !
C’est le retour au village. Certains ont déjà commencé à rire, à causer comme si de rien n’était ! On a sitôt oublié la douleur ! Devant la maison mortuaire et parfois à la mosquée, le mort est vraiment mort, enterré, effacé des esprits.
Que se dit-on donc ? Des milliers de francs envoyés par Wari ou par Western Union de l’Europe, des USA ou même d’Afrique, des dons de parents des villages voisins sans compter la participation des présents font l’objet de ce bruit ! De gros plats de riz à la viande de moutons ou de bœufs circulent depuis le retour des cimetières pour que les gens ne rentrent pas le ventre vide.
Ce n’est pas tout ! Selon les familles, il sera décrété l’organisation de funérailles pour le troisième, le huitième, le quarantième jour et même la célébration de l’anniversaire du décès.
Quand il y eut moins de monde, Mocirédin se retira dans un coin, continuant à égrener son chapelet devenu subitement important entre ses doigts. Il hoche la tête se disant qu’il y aura toujours des <<marqueurs>> de cérémonies qui vont dépendre des marmites sur les foyers.
Mocirédin pensa à l’existence. A l’homme. A toute cette course, cette recherche effrénée du savoir mais surtout de matériel !
L’homme est vraiment incompréhensible ! Il sait pourtant qu’un jour ou l’autre il partira. Il partira seulement couvert par un linceul blanc, qu’importent les hautes fonctions qu’il a eu à occuper dans sa vie ! Il n’ira, ni avec tout le savoir accumulé sur cette terre, notre terre, ni tous les biens matériels, bien ou mal acquis ! Ses maisons à étages, ses belles épouses, ses belles voitures, ses troupeaux de vaches, de moutons, de ….de…..de….. Tout sera utilisé et usé par les autres ; ceux qui sont encore en vie ! Pourquoi donc, pendant que nous vivons, ne partageons-nous pas nos avoirs, nos savoirs, nos pouvoirs, tout ce que nous possédons avec les autres, ceux qui ont la charge morale, en tant que voisins immédiats ou parents de nous enterrer !
Mocirédin fixa son index droit à l’Est dans le ciel et vociféra presque. Aussitôt, il ouvrit ses deux mains, fit encore et toujours face à l’Est, pour, d’une voix douce murmurer : Astakhfiroulah ! Mon DIEU pardonnez-moi, ayez pitié de moi et de tous les croyants ! Amen !
Idrissa Diarra