
Les paysans sont prêts : depuis la fin du mois d’avril ; en majorité, ils ont désherbé, sarclé, bêché, n’attendant que les premières gouttes de pluie pour semer. Après les deux fines pluies qui ont arrosé plusieurs localités du Département de Bakel, un fin tapis herbacé couvre le sol et annonce l’installation de l’hivernage.
Mocirédin, en vérifiant ses instruments de culture, ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pieuse pour deux hommes. Son père d’abord qui, à cette période de l’année, avait déjà fourbi ses armes de combats : les houes, les haches, les coupe-coupe, les semoirs, les outres pour porter de l’eau fraîche à tout moment et même sa gibecière, un véritable « grenier », un fourre-tout où se croisent, pêle-mêle les semences, des miches de pain achetées chez Thiémokho Sidibé, le boulanger du quartier, sa noix de kola, sa houe, une lime… .
Il ne veut, en aucun cas être surpris par la saison. En bon fils de paysans, il a toujours pris les devants. Le deuxième homme est sans conteste, le vieux Birama Sambakhé, son ami, le forgeron du quartier. Tout ce qui est « fer » le craignait, tellement il était connaisseur ; il détenait des secrets ancestraux et en plus, il était magnifique, charismatique dans sa forge ! En réalité, son lieu de travail n’était qu’une hutte, mais bien entretenue par ses deux épouses Kadiétou et Aïssatou. Son fils Lassana et ses deux apprentis Moussa et Gandé suivaient attentivement tous ses gestes pour les reproduire avec beaucoup de difficultés car Mpa Birama était un as du fer. Des morceaux insignifiants de métaux, tout à l’heure, devenaient quelques instants plus tard, des instruments résistants, beaux à voir et prêts à servir fidèlement leur maître.
Ses souvenirs, bien que lointains bouleversaient Mocirédin. Il sait. Il est même certain que ce temps ne reviendra plus jamais. Alors, faut-il tourner la page et oublier ? Même s’il le désirait de toutes ses forces, le pourrait-il ?
<<-Mon père n’est plus là ! Le grand forgeron Birama Sambakhé, non plus ! Aucune trace de ce haut lieu du savoir-faire, de l’art, de la connaissance. Plus rien n’indique que cette place, jadis, a formé des hommes capables de parler avec le fer, de le modeler, le transformer à la guise du maître, d’être admiré par des passants, éblouis par la beauté de l’instrument. Ce temps est révolu. Il ne reviendra plus jamais, se dit Mocirédin !
-AH que si, rétorque son ami Kader Tandia ! Peut-être que notre Birama Sambakhé sera désormais toujours absent, mais son œuvre continue puis continuera ! Ses enfants n’ont pas démultiplié ses idées bienfaitrices, formatrices mais à bien réfléchir, les Centres de Formation Professionnelle (CFP), surtout celui du Directeur Mamadou Lamine Badji à Bakel, ne cessent de faire des merveilles dans tous les domaines : Menuiserie Métallique qui s’apparente à la forge, l’Electricité, le Froid, le Bâtiment, la Restauration, la Couture…Bref, il y a certainement des filières que moi, Kader, je ne connais pas ! Ce qui m’amène chez toi ce matin, ce n’est pas pour te contrôler, vérifier si tes instruments de labour sont prêts ! Non ! Je suis venu te secouer comme d’habitude pour que tu me surprennes encore sur ta manière singulière de voir les choses, toujours différemment des autres ! Mocirédin que penses-tu de la politique ?
-Mais Kader, mon cher ami, très brutalement, je te dirai que la politique est un JEU ! Comment te l’expliquer ? Les hommes politiques prennent les pauvres populations pour des jouets. Eux, sont les joueurs et le fameux sport qu’ils pratiquent porte le nom diabolique de POLITIQUE. La politique, selon le dictionnaire LAROUSSE de Français (édité seulement en 2008) c’est « une science et un art de gouverner un Etat, une manière de conduire l’ensemble des affaires d’un Etat ; c’est aussi une stratégie, une manière prudente, habile d’agir. » Ce sport a beaucoup d’adeptes car il ne demande pas de niveau d’études ni de talent sportif. Il suffit d’être un beau parleur, capable de haranguer les foules, d’avoir une éloquence frénétique, de savoir ruser, faire des promesses (même si elles ne sont jamais tenues). Eh oui ! Il faut pouvoir et savoir promettre le ciel et la terre, le possible et même l’impossible, le réalisable et ses propres rêves. La politique demande d’être un véritable stratège, un transformateur de mensonges en vérité…
-Mocirédin, tu peins en fin de compte le politicien comme un Diable ! Invisible à l’œil « nu » des populations, un sacré avant-centre de la trempe des Ronaldo, Messi, Mbappé, Lukaku, Benzéma, fin dribleur, capable d’arriver à ses fins en marquant des buts splendides, le politicien a pour objectif de se faire élire ou réélire, qu’importent les moyens et la manière ! Non ! Tous les politiciens (hommes politiques) ne sont pas dans cette catégorie que tu as citée. Parmi ces hommes et ces femmes qui s’adonnent à ce « sport », même si, par la force des choses, certains en sont devenus des « professionnels », d’autres par contre, très sérieux sont à applaudir. Ils respectent leur parole donnée et les engagements qu’ils prennent. On les reconnaît par leur humilité, leur honte à élever la voix,
leur respect pour chaque personne qu’ils croisent, leur engagement à vouloir, coûte que coûte développer leur terroir. Ils sont rares, je l’admets ; mais il en existe !
-Ceux dont tu parles, Kader, sont des « perles » rares, des personnes à part. Bizarrement, à cause de leur franchise, les populations ne les écoutent pas et les rejettent. Un grain de sel dans la mer ne change pas le goût de l’eau ! L’on est tellement habitué à écouter les prometteurs de vent que le bon air présenté par les « véridiques » attire l’ouragan des pauvres électeurs. Le ventre joue un rôle primordial en période électorale. Il représente les yeux, l’esprit, la main, le courage de vendre sa dignité, son honneur, l’avenir de toutes les populations fatiguées et qui vont devoir vivoter encore entre deux scrutins. Je ne les envie pas et en même temps ne le en veux pas car le degré de pauvreté a tué toute possibilité de réfléchir, de faire un choix judicieux pour soi-même d’abord et pour les populations de son terroir ensuite. La jeune génération semble comprendre les enjeux des élections. Elle doit être soutenue et orientée. Ma génération est moins nombreuse. Cependant, elle peut et doit jouer un rôle important dans le processus électoral. Les hommes politiques, la plupart du temps, des professionnels de la politique politicienne, envahissent le terrain, très tôt, parce que ce sont eux qui détiennent les cordons de la bourse. De nos jours, avec la porosité de nos frontières, la drogue circule en quantité énorme (rien que des tonnes de chanvre indien, de cannabis, de hachich…) des milliards de faux billets de « banque », des tonnes de médicaments de la rue ! Nos espoirs, c’est-à-dire nos enfants, notre relève, nos dirigeants de demain, sont pervertis, rendant notre futur incertain, plus catastrophique que notre présent ! Kader, il faut beaucoup de poigne de la part de la jeune génération pour oser prendre son destin en mains. Elle doit changer, se dire que pour faire de l’omelette, il faut casser des œufs !
-Mon ami Mocirédin, le JEU POLITIQUE n’est donc pas un jeu ! Il doit être pris au sérieux, par toutes les composantes de la société. Chacun, à son niveau doit jouer sa partition pour que la musique soit harmonieuse, sans fausse note. SENEGAL DIARNA KO !>>
Idrissa Diarra bakelinfo.com